Opérateurs et Justice discutent des écoutes

le mercredi 28 janvier 2015 15:27 Le Soir

Beaucoup plus de services pour le compte de l'État en échange d'un budget sévèrement raboté, c'est le marché de dupes qui pend au nez des opérateurs télécoms. Écoutes téléphoniques, identification de numéros, localisation d'appareils mobiles, la Justice recourt de plus en plus aux services des opérateurs pour mener ses enquêtes. À tel point que les factures pour ce type de service sont devenues l'un de ses trois principaux postes de coût en sous-traitance, avec les exploits d'huissiers et les analyses d'ADN.

Un budget qui avoisine aujourd'hui 15 millions d'euros par an. Seul pépin, l'administration ne règle pas ses factures. «Si l'on excepte des petits paiements très partiels, la situation n'a pas vraiment évolué depuis deux ans, note un spécialiste du secteur. L'administration doit toujours entre 35 et 40 millions d'euros aux opérateurs».

Un peu gêné aux entournures par la présence majoritaire de l'État dans son actionnariat, Belgacom privilégie toujours la concertation pour aboutir à une solution financière. Par contre, Mobistar et Base n'ont plus d'état d'âme et ont attaqué l'an dernier l'État belge mauvais payeur. Un contentieux qui ne sera probablement pas réglé de sitôt. «Il n'est pas question d'abandonner ces montants dus» , précise Haroun Fenaux, porte-parole de Belgacom.

Chez Mobistar, la part du total impayé s'élève à 17,5 millions d'euros. « Les factures n'ont jamais été contestées» , note le porte-parole, Jean-Pascal Bouillon. Rien que chez Mobistar, c'est onze personnes à temps plein qui se relaient pour assurer ces services demandés par la Justice, jour et nuit et sept jours sur sept.

Ces dernières années, l'administration a pourtant tout tenté pour adoucir la note. Les tarifs payés aux opérateurs pour ces actes techniques sont fixés par arrêté royal. Et ils ont déjà été revus à la baisse à deux reprises. Mais Le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), entend aller plus loin que ses prédécesseurs. Vendredi dernier, une réunion s'est tenue entre des représentants du cabinet Geens, de l'administration et des opérateurs. Objectif: renégocier les relations avec ces derniers pour optimiser les procédures administratives et limiter drastiquement les coûts. Au cabinet du ministre Geens, on indique que le ministre entend veiller à ce que toutes les anciennes factures soient payées, sans cependant pouvoir donner d'autres précisions.

Le budget annuel devrait passer de 15 millions d'euros à une dizaine de millions, prévoit-on dans l'entourage des opérateurs. Et certains tarifs deviendront forfaitaires. «Il y a un risque réel que l'on compresse très fort l'enveloppe budgétaire mais que certains services soient de plus en plus sollicités puisqu'ils seront couverts par un forfait annuel» , s'inquiète un spécialiste.

D'autant que l'évolution de la législation européenne risque de faire flamber les demandes liées à l'utilisation de l'internet. Elles concerneront le courrier électronique et les visites de sites web mais également les applications de messagerie, comme Skype ou WhatsApp. «Aujourd'hui, les enquêteurs n'ont pas la possibilité d'intercepter ces messageries car ils ne disposent pas des clés de chiffrement, note Jean-Pascal Bouillon. Et il faut une autorisation pour inspecter les paquets de données qui sont transmis. Mais on comprend bien l'enjeu et on n'est pas opposé au principe» .

«Tout le monde devra être traité sur un pied d'égalité, réclame pour sa part Jean-Marc Galand, le responsable du Gof, la plateforme qui rassemble tous les opérateurs mobiles belges. Si l'on impose des contraintes aux opérateurs belges, alors Google, WhatsApp et les autres géants du Net devront se plier eux aussi aux mêmes règles.»