Détournements, négligences : un cadre pour l’administration provisoire

le mardi 02 février 2016 14:23 LE SOIR

Le ministre de la Justice Koen Geens se dit déterminé à faire aboutir cette année encore la production d’arrêtés royaux encadrant strictement le nouveau régime d’administration provisoire, entré en vigueur en septembre dernier. En Belgique, plus de 80.000 personnes vulnérables sont placées, en raison de leur état de santé, sous la tutelle d’un administrateur provisoire chargé par le juge de paix de la gestion de leurs biens. Régulièrement, des associations, des familles dénoncent l’opacité d’un système insuffisamment contrôlé, dont les acteurs (juges de paix et administrateurs) sont parfois taxés de connivence, dont les familles se sentent exclues.

« Des sommes colossales »

C’est le cas de Philippe Vilain, dont la fille a été placée sous administration provisoire et qui se plaint du manque d’humanité de son administrateur provisoire : « il est impossible de le voir, d’obtenir des explications ». Il a rassemblé, sous l’étendard d’un groupe Facebook « Administration provisoire de Biens », plus de 650 proches d’administrés provisoires qui dénoncent dans une pétition les plaintes qui ne parviennent pas à aboutir et le sort réservé à leur parent fragilisé : « des sommes colossales d’argent sont détournées, des biens sont vendus sans l’avis des familles, et les administrés sont laissés pour compte, voire sont restreints quant à leur qualité de vie qu’ils avaient avant ces administrations ».

L’actualité judiciaire récente a effectivement signalé des malversations. L’ancien secrétaire d’Etat à la lutte contre la Fraude fiscale et sociale John Crombez avait été amené à déposer plainte contre un juge de paix d’Ostende accusé de collusion. Un avocat de Charleroi fut inculpé en 2013 pour le détournement de 512.000 euros au préjudice de ses administrés provisoire. Et le sinistre record des spoliations est détenu par l’ex-avocat Jean-Luc Burlion qui avait spolié les vulnérables confiés à son autorité de près de 11 millions d’euros, comme la cour d’appel de Bruxelles l’avait établi en le condamnant à 5 ans de prison dont 3 fermes.

Ces sommes folles, détournées par de véritables délinquants qui demeurent une exception, ne concernent pas le quotidien des administrés provisoires ordinaires (dont beaucoup de surendettés) qui souffrent simplement de négligences préjudiciables, aux conséquences d’autant plus catastrophiques qu’elles handicapent souvent des fins de vie.

Le cas de Liliane, une septuagénaire de la région de Dinant, concentre de nombreux reproches faits au système de l’administration provisoire. La mort de son mari l’avait laissée à la tête d’un confortable matelas de près de 5 millions d’euros. Ses enfants l’avaient convaincue de se faire placer l’administration provisoire d’une avocate, sans que cette veuve, fragilisée dans les jours suivants la disparition de son mari, ne sache à quoi elle s’exposait. « Elle fut placée dans un home miséreux qu’elle quitta pour se réfugier chez des amis. Elle ne se voyait octroyer que 150 euros d’argent de poche par semaine », résume son avocat M e Emmanuel De Wagter qui est parvenu au terme de longues procédures à obtenir la levée de la mesure d’administration provisoire, des médecins ayant établi qu’elle était parfaitement capable de gérer ses biens. Pour cette dame, le mal est pourtant fait. Elle n’a pu financer une indispensable opération des genoux qui la rend aujourd’hui handicapée. Son administrateur a négligé le rapatriement sous DLU de fonds placés au Luxembourg. Ses biens (des maisons) n’ont pas été entretenus, ni assurés. Des bons de caisse ont été vendus en dépit du bon sens financier.

Magistrats en cause

Au total, M e De Wagter estime le préjudice subi du fait de ces négligences à 116.000 euros. Et à cette négligence de gestion reprochée à l’avocate administratrice n’est encore que peu de chose en regard de ce constat terrible établi en décembre par un premier jugement du tribunal de première instance de Dinant : « Les magistrats qui ont décidé de la mise sous administration de Madame Liliane X ont à l’évidence commis un détournement de procédure et porté ainsi une atteinte injustifiée au principe de la liberté individuelle ». Quel sort réservé à ce constat ? Les parties sont appelées à plaider le 18 mai prochain. Liliane, la septuagénaire préjudiciée, devra encore « dépenser » ce temps si précieux.

En janvier, pas moins de 50 associations flamandes de soins avaient dénoncé, dans une carte blanche, le « recul du statut des personnes vulnérables » qu’entraînaient les failles dans l’application de la nouvelle loi sur l’administration provisoire. Certains administrateurs provisoires désignés par les juges de paix selon des critères qui varient de cantons à cantons gèrent plusieurs dizaines de dossiers (jusqu’à 300 !). Parfois avec des structures adaptées et un professionnalisme avéré.