“Je ne pouvais espérer mieux de Charles Michel”

le samedi 21 mai 2016 19:40 La Libre Belgique

La Libre Belgique* - 21 Mei 2016

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Entretien Frédéric Chardon et Jean-Claude Matgen

Elle en tremble encore, mais la responsable de l’accueil au cabinet de Koen Geens (CD&V) se remet tout doucement du saccage du hall d’entrée par les syndicats des “matons”, mardi passé. Les vitres cassées ont été remplacées, tout a été rangé. Restent quelques trous dans le marbre du sol, les stigmates des poteaux et rampes d’escalier qui, bien que vissés, ont été arrachés par les grévistes. Au 7e étage, le ministre de la Justice nous reçoit alors que de nouvelles négociations sont prévues en fin d’après-midi avec les gardiens (lire ci-contre).

L’opposition a beaucoup reproché à Charles Michel son mutisme ces derniers jours dans le dossier prison. Avez-vous ressenti cette absence dans le dossier ?

Au contraire. Je me demande vraiment ce qu’on attend du Premier ministre. Attend-on de lui qu’il négocie avec les syndicats d’un secteur de 8 000 fonctionnaires ? Demain, ira-t-il alors négocier directement avec les gens de Belgocontrol ? Dois-je aussi appeler le Premier ministre à chaque projet de loi déposé en commission de la Justice ? L’important, c’est que lui et moi sommes en concertation permanente. Et je suis soutenu par l’ensemble du gouvernement. J’ai vu beaucoup de Premiers ministres dans ma vie, je n’ai jamais vu que le Premier ministre devait s’impliquer dans la gestion directe d’un département.

Mais il aurait pu prendre, par exemple, une initiative dans le dossier, pour vous appuyer plus clairement, envoyer un message à la population.

Dites-moi concrètement ce qu’il aurait dû faire alors que son ministre fonctionnel est déjà soutenu par les ministres du kern… Ça n’a rien à voir avec lui, ça n’a rien à voir avec moi. Il s’agit d’un département bien particulier où il y a un problème de grèves. Mais prenez les dossiers de l’Energie, prenez la SNCB… Là aussi, les ministres fonctionnels prennent leurs responsabilités. En concertation avec moi, M. Michel s’est exprimé à deux reprises au Parlement, il s’est également exprimé à la RTBF jeudi soir. Je ne pouvais espérer mieux de Charles Michel. Dès que j’en ai eu le besoin, il s’est directement mouillé au sein du gouvernement; et avec beaucoup d’implication.

Avez-vous également ressenti le soutien de la N-VA dans un conflit qui concerne, finalement, les prisons francophones ?

Oui. Ce n’est pas mon genre de polémiquer et je ne suis pas un nationaliste. Mais je ne peux pas du tout me plaindre de l’appui, dans cette crise, des ministres N-VA, de l’aide de la police fédérale (compétence de Jan Jambon), de l’armée (compétence de Steven Vandeput) afin d’améliorer la situation humaine dans les prisons. J’ai demandé à deux reprises l’augmentation des militaires impliqués : de 80 à 120, puis de 120 à 160, et je n’ai jamais dû attendre plus de 12 heures. Politiquement, c’est un moment intéressant pour la N-VA, ça, je le comprends sans problème, mais le gouvernement a gardé sa cohérence.

C’est presque étonnant de ne pas avoir entendu davantage de “sorties” de mandataires N-VA sur le sujet : les francophones qui font grève tandis que la Flandre travaille… C’est presque une caricature.

Tous sentent que ce dossier est délicat et emblématique. C’est une des premières fois qu’un gouvernement résiste aussi clairement dans un dossier de ce type. C’est un signe de force remarquable de cette équipe.

On quitte tout doucement le “kibbelkabinet”, le “gouvernement des chamailleries” entre partenaires ?

Ce n’est pas exclu, tout le monde essaie de conserver sa dignité dans ces moments difficiles. Soit on cède tout et on ne réforme rien ou alors on tient et, peut-être, on arrive à réformer. Je suis quelqu’un qui tient ses promesses.

Vous êtes un lion, avez-vous dit à la Chambre, en réponse à une question de Francis Delpérée (CDH) qui, lui, vous qualifiait de coq.

Je trouvais cette sortie assez malheureuse et je n’ai pas pu me retenir…

Les grèves durent depuis 3 semaines et il y a eu un mort chez les détenus. Faites-vous un lien entre ce mort et les grèves ?

Ce n’est pas au ministre de la Justice de communiquer à ce sujet, c’est au parquet.

Le politologue flamand Carl Devos propose que l’on fasse un conclave budgétaire spécial pour la Justice, pour régler les problèmes de sous-financement. Vous êtes d’accord ?

Où est-ce que l’argent manque en Belgique ? Pas seulement au fédéral mais aussi au niveau flamand, bruxellois, wallon. L’argent manque pour les investissements des pouvoirs publics. On peut se plaindre des bâtiments de la justice mais on peut se plaindre des tunnels et aussi des infrastructures des écoles. Vous verrez partout en Belgique les mêmes problèmes. On manque d’une politique budgétaire européenne qui permette les investissements. Quand je veux construire une prison – disons qu’elle coûte 70 à 80 millions – il faut l’ajouter directement au déficit public...

Pendant la crise des prisons, vous avez dit que vous étiez à bout…

Je n’ai jamais dit cela. J’ai dit que j’étais au bout de mon exercice de conciliation du droit de grève et des droits de l’homme.

On entendait pourtant cela comme une menace de démission.

Je n’ai jamais pensé à démissionner, ce n’est pas dans ma nature d’abandonner. Le devoir politique consiste à renoncer d’être aimé tout le temps et partout. C’est le résultat final qui compte. Il faut supporter que la résistance soit à la mesure de la profondeur des réformes.

“Je n’aime pas les propos définitifs, ils sont dangereux”

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Vous sentez-vous un ministre incompris par la magistrature, par le monde des prisons, etc. ?

Il n’est jamais facile de faire passer un message à tout le monde. Il faut convaincre les acteurs de terrain, où je suis allé sans relâche. Nous sommes désormais à un moment crucial. Ou bien nous continuons à dire “donnez-nous plus de moyens et de personnel et tout ira bien”, ou bien nous faisons preuve d’imagination et de volonté de modernisation. Il faut que les personnes en place soient bien utilisées afin d’assurer un bon service public de la justice. C’est dans cet esprit qu’avec les avocats, nous préparons une réforme de l’aide juridique avec la création d’un fonds pour l’assistance. Certains barreaux sont mécontents, mais nous avons négocié avec l’ensemble des avocats un beau projet de loi. Mettre tous les juristes d’accord, ça, on ne peut me le demander, mais le dialogue est permanent.

Dans le monde judiciaire, un mouvement est en train de grandir qui reproche au pouvoir exécutif de vouloir mettre le pouvoir judiciaire au pas. Fantasme ?

Je ne sais pas ce que vous visez exactement. Ce que je peux dire, c’est que le dialogue entre exécutif et judiciaire a rarement été aussi intense qu’actuellement. Je m’en réjouis. Il y a vingt ans, les magistrats se taisaient, aujourd’hui ils sont sur les plateaux de télé. Il faut que nous nous fassions à la modernité. J’ai répondu aux arguments de M. De Codt (NdlR : qui critiquait le traitement réservé par l’Etat à la justice) par un communiqué, j’ai reçu le premier président de la Cour de cassation et pour moi l’incident est clos.

Pourtant, le Collège des cours et tribunaux a contesté les chiffres que vous livriez sur les engagements opérés dans la magistrature et sur l’aide budgétaire apportée par l’Etat à la justice. L’incident n’est donc pas aussi clos que cela…

Je dis : pour moi, virgule, l’incident est clos.

On a l’impression que les délégués syndicaux sont régulièrement débordés par leur base… C’est le cas dans le dossier des prisons, semble-t-il.

Dans toute la société, partout, il est devenu plus difficile pour les représentants officiels d’être acceptés par leur base qu’il y a vingt ans. On connaît une crise de l’autorité, liée, en partie à l’émergence des médias sociaux. Tout cela explique par exemple comment l’opposant républicain à Mme Clinton a pu émerger contre la volonté de la hiérarchie de son parti. C’est du jamais vu.

Faut-il un service minimum dans les prisons ?

Le gouvernement m’a autorisé à poursuivre la négociation en ce sens avec détermination une fois la grève terminée.

Les barreaux vous ont bien accueilli mais le vent semble tourner. Ils critiquent aujourd’hui votre réforme de la procédure pénale, estiment qu’elle aggravera la détention préventive et affirment que le masterplan visant à construire de nouvelles prisons ne répond ni aux demandes des gardiens, ni à la situation générale.

Cela fait neuf mois que je prépare ce masterplan. Est-il honteux que le moment politique accélère son passage au gouvernement ? S’agissant de la détention préventive, nous allons limiter les cas de détentions préventives en liant leur durée à la peine sanctionnant le délit poursuivi. On m’a vivement reproché l’alourdissement des peines en cas de correctionnalisation des crimes. C’était pourtant la seule alternative à une diminution du recours aux assises. Vous savez, je n’aime pas trop la guerre des opinions qui incite certains à utiliser des termes définitifs. Exprimer son opinion, c’est bien mais les paroles “fortes” utilisées pour qu’on vous entende, c’est dangereux. Lorsqu’un incendie se déclarera, plus personne ne vous écoutera. Je dis cela pour tout le monde.