Fin de la stérilisation pour transgenres

le vendredi 09 décembre 2016 08:13 Le Soir

Les « marqueurs de genre » sur les cartes d’identité pourront être modifiés. Les mineurs dès 12 ans pourront entamer des démarches. Les associations saluent un premier pas, mais émettent des réserves.

C’est un combat que la communauté transgenre et les associations de défense des droits humains menaient depuis des années. La fin de la psychiatrisation et des stérilisations forcées pour les personnes transgenres qui souhaitent changer de prénom et de marqueur de genre (le petit « m » ou « f ») sur leur carte d’identité.

Le ministre de la Justice, Koen Geens, et la secrétaire d’Etat en charge de l’Egalité des chances, Elke Sleurs, ont déposé un avant-projet de loi révisant la loi transgenre de 2007. Cet avant-projet sera discuté en Conseil des ministres ce vendredi. Jusqu’à présent, les personnes transgenres, qui estiment que leur identité de genre n’est pas en adéquation avec leur sexe biologique et le prénom qu’elles ont reçu à la naissance devaient, pour modifier cela, passer par la psychiatrisation et une opération chirurgicale, qui entraînait une stérilisation. Les associations LGBT avaient toujours dénoncé la psychiatrisation, qui sous-tendait que les personnes transgenres souffraient d’une maladie mentale. Par ailleurs, des ONG de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, condamnaient depuis plusieurs années les traitements inhumains et dégradants que représente une stérilisation forcée. L’Etat belge avait d’ailleurs été condamné à plusieurs reprises pour cette raison.

Dorénavant, une personne désireuse de modifier son prénom et son identité de genre devra entamer une procédure administrative par une déclaration devant l’officier de l’Etat civil. Le fonctionnaire aura pour obligation « d’attirer l’attention de la personne concernée sur les conséquences » de la procédure ainsi que de lui fournir une brochure de renseignements.

Endéans les trois jours, le procureur du Roi se verra notifier cette demande et disposera de trois mois pour rendre un avis, positif ou négatif (auquel cas un recours sera possible). La personne trans devra quant à elle s’informer auprès d’une organisation de transgenres et, après un délai de réflexion de minimum trois mois et maximum six mois, réitérer sa demande auprès de l’officier de l’état civil, qui pourra alors enfin modifier l’acte de naissance de la personne.

Les mineurs d’âge pourront également, dès 12 ans, demander à changer de prénom, avec l’accord de leurs parents ou tuteurs légaux. Dès 16 ans, le ou la jeune disposera de la possibilité de faire changer le marqueur de genre (masculin/féminin) dans son acte de naissance. Une déclaration d’un pédopsychiatre attestant que l’ado a bien pris cette décision en pleine conscience et sans pression sera requise.

Les associations de défense des droits de l’homme et les associations trans accueillent cette nouvelle avec prudence, n’ayant pas encore eu accès au texte lui-même. « Nous nous réjouissons de constater que ce gouvernement avance dans la bonne direction, en démédicalisant cette affaire » , entame Montserrat Carreras, en charge du plaidoyer d’Amnesty sur cette question. Mais aux yeux de l’ONG, de nombreuses questions restent encore en suspens. Ainsi, quel sera le rôle de l’officier de l’état civil, si la personne est tenue de s’informer par elle-même ? Quid encore des critères en vertu desquels le procureur du Roi pourrait refuser la demande ? Pour l’heure, le communiqué conjoint des ministres Geens et Sleurs indique simplement que des refus pour motif personnel ou de conviction ne seront pas acceptés…

Enfin, tant Amnesty que l’ASBL Genres pluriels, association de référence sur ce sujet, émettent deux réserves majeures : le délai de réflexion, considéré comme trop long, et la nécessité d’une attestation d’un pédopsychiatre pour les adolescents. « La psychiatrisation est sortie par la porte, et elle rentre par la fenêtre », dénonce Max Nisol, le coordinateur de l’association. Qui pointe par ailleurs des confusions dans le texte entre « changement de sexe » (utilisé ici pour décrire un changement de marqueur de genre à l’état civil et non une opération) et changement d’ « identité de genre ».

« Cette utilisation incorrecte du lexique révèle une méconnaissance des réalités des personnes trans », déplore Max Nisol. Selon lui, il s’agit d’un « premier pas » dans la bonne orientation, mais, en réalité, du « minimum » au regard des droits humains. L’ASBL sera reçue lundi par les cabinets Geens et Sleurs.

ÉLODIE BLOGIE