Comment éviter les querelles de succession?

le jeudi 12 janvier 2017 09:54 Tendances

Un nouveau droit successoral belge est en chantier. Le but est de laisser une plus grande liberté de disposition au testateur et de limiter les conflits à sa mort. Nous vous exposons les grandes lignes de cette réforme et quelques astuces pour éviter les disputes entre vos descendants.

«Un décès déclenche souvent un volcan d’émotions. Des choses qui n’avaient pas été dites du vivant du défunt, au nom de la paix des familles, font brusquement surface », explique Alain Laurent Verbeke, professeur de droit patrimonial familial à la KU Leuven, dans un entretien téléphonique depuis les Etats-Unis où il est depuis 10 ans professeur de « negotiation » à la Harvard Law School. Maître Verbeke est avocat chez Greenille by Laga et spécialisé dans la médiation, la négociation et l’arbitrage dans les litiges concernant les entreprises familiales, les divorces et les successions.

« Je suis d’avis de réunir les familles avant le décès, explique-t-il. Quand on peut anticiper la discussion sur la répartition du patrimoine familial, quand il y a une écoute active et avec l’empathie nécessaire, on peut percer les différends et éviter qu’ils ne débouchent sur un litige. Le secret de l’harmonie réside dans la manière de gérer les conflits. En abordant les différends de façon franche et constructive, on peut trouver une solution qui convient à tout le monde et prévenir le litige. »

Sur le fond, Alain Laurent Verbeke trouve que c’est une bonne chose qu’on puisse éventuellement, à l’avenir, conclure un pacte successoral permettant à des membres de la famille de céder une part de leurs droits à d’autres. « Quand vous avez la possibilité de conclure une convention juridiquement contraignante, cela vous incite à engager la discussion », assure-t-il. La réforme envisagée inclut la possibilité d’un tel pacte de famille.

On peut imaginer plusieurs situations dans lesquelles semblable accord serait susceptible d’apaiser les esprits. Il peut par exemple arriver que des parents désirent faire plus pour un enfant handicapé ou dans le besoin. D’autres souhaiteront que les parts dans l’entreprise familiale reviennent uniquement aux enfants qui s’impliquent dans celle-ci. Il se pourrait aussi que, pour une raison ou une autre, des parents estiment que la maison familiale doit aller à un enfant en particulier.

« Les parents rendent souvent à leurs enfants vivant à proximité toutes sortes de services qu’ils ne peuvent pas proposer à un enfant qui habite plus loin, ajoute l’avocat. On voit ainsi des grands-parents qui vont chercher leurs petits-enfants à l’école, jouent les baby-sitters et les taxis, font du jardinage, etc. Dans certains pays, ces menus services peuvent entrer en ligne de compte, à certaines conditions, dans l’égalité de traitement entre enfants lors d’une succession. Ce n’est pas la direction que nous prenons en Belgique. Les parents peuvent donner à un enfant qui habite loin une somme d’argent en compensation de tous les services rendus à un autre enfant. Cela n’induira pas l’égalité aux yeux de la loi, mais dans un pacte de famille, on pourrait tout à fait prendre des accords contraignants dans ce sens. »

Le pacte successoral (ou de famille)

En tout état de cause, tous les enfants devront être d’accord sur une répartition non usuelle du patrimoine, puisqu’ils devront apposer leur signature sous le pacte. Une fois qu’ils auront signé, ils ne pourront plus contester celui-ci. « Je trouve qu’il y a trop peu de garanties dans la proposition de loi par rapport au fait que tout le monde doit bien comprendre les conséquences, actuelles et futures, estime Alain Laurent Verbeke. Imaginez que votre père convoque la famille au moment où il prend sa pension, par exemple. Il peut encore facilement s’écouler 20 ans avant que la succession soit ouverte. Votre situation personnelle peut changer. Vos relations avec vos frères et sœurs peuvent changer. Etes-vous en mesure d’évaluer les répercussions à long terme d’un pacte successoral ? »

Dans la proposition de loi actuelle, l’intervention d’un notaire est nécessaire, toutes les parties en présence doivent recevoir le projet de convention un mois avant la signature et les intéressés peuvent demander un entretien particulier avec le notaire ou se faire assister par un avocat. Pour Alain Laurent Verbeke, ce délai aurait dû être plus long et le notaire devrait avoir un rôle plus important.

Le rôle du notaire

« Ce n’est peut-être pas si évident de demander un entretien particulier avec le notaire ou de faire appel à un avocat si le reste de la famille exerce des pressions, avertit Alain Laurent Verbeke. Je trouve que cet entretien en face-à-face, confidentiel, avec le notaire, devrait être obligatoire. Le notaire devrait veiller à ce que tous les membres de la famille soient conscients des conséquences de la convention et il devrait s’assurer qu’ils sont en mesure d’expliquer son contenu avec leurs propres mots. Il s’agit souvent de textes très compliqués : le pacte de famille doit mentionner toutes les donations et avantages passés et présents et présenter un ‘ équilibre subjectif ’. »

Pour Alain Laurent Verbeke, le législateur devrait plus miser sur le dialogue entre parents et enfants. « Sans communication sincère, le pacte successoral n’est pas une garantie d’harmonie familiale. Or, c’est justement cela qui compte à mes yeux. S’il y a discussion, on peut toujours faire appel à des médiateurs. La médiation est le nouvel espéranto, la nouvelle langue de communication. Je remarque en pratique que, même dans les meilleures familles, il peut être difficile de parler de façon transparente et honnête. Cela demande une certaine ouverture d’esprit et il faut oser se mettre en position de vulnérabilité. »

Médiation

Dirk Slootmans, médiateur et associé du Groupe Pareto, s’attend à un accroissement de la demande de médiation dans les affaires de succession dès l’instant où il sera possible de conclure un pacte familial juridiquement contraignant. « On nous pose toutes sortes de questions sur les successions. Quand quelqu’un décède, les gens se demandent par exemple qui a droit à une partie de l’héritage. Est-ce que mon demi-frère issu d’un précédent mariage a des droits ? Mes parents n’ont plus de contact avec ma sœur depuis 20 ans : est-ce qu’elle va hériter d’autant que moi ? Et quid des donations qui ont été faites par le passé ? Pour ce type de questions, nous renvoyons les gens chez des avocats de leur région. Nous n’intervenons qu’en cas de litige. »

Le Groupe Pareto, fondé il y a 10 ans, s’est spécialisé dans la médiation de divorce. Aujourd’hui, il emploie 23 personnes. « Nous nous occupons la plupart du temps de divorces, mais depuis 10 mois, nous proposons également une médiation dans les affaires successorales en Flandre et nous sommes en train de démarrer en Wallonie, explique Dirk Slootmans. Les Belges n’ont pas encore vraiment pris l’habitude de recourir à la médiation dans les successions. Celle-ci est entrée dans les mœurs pour les divorces ces dernières années, mais pour les successions, elle n’a pas encore fait de véritable percée. Les affaires que nous avons traitées jusqu’à présent concernaient principalement des tentatives de réconciliation entre enfants d’un parent défunt qui ne s’étaient parfois plus vus depuis très longtemps. Les différends portent alors sur la répartition : par exemple, qui recevra la maison familiale et qui l’appartement de rapport. Autre pomme de discorde fréquente, les compensations qu’un enfant qui s’est occupé d’un parent s’attribue du vivant de ce dernier ou veut obtenir après son décès. »

La réserve légale

Les principales modifications qui s’annoncent tournent autour des parts réservataires. Dans notre pays, chaque enfant a droit à une part de l’héritage de ses parents : c’est sa part réservataire. Si les parents n’ont pas respecté cette réserve légale, en faisant des donations ou dans leurs dernières volontés, les enfants désavantagés peuvent réclamer, après le décès des parents, leur part d’héritage légale. Dans les familles avec un enfant, la part réservataire se monte aujourd’hui à la moitié. Dans les familles de deux enfants, chacun de ceux-ci a droit à un tiers ; au total, deux tiers de l’héritage sont donc réservés aux enfants. Dans les familles de trois enfants ou plus, la réserve légale est de trois quarts.

Dans le nouveau droit successoral, cette part réservataire sera limitée à la moitié, et ce, quel que soit le nombre d’enfants. Pour les familles avec un enfant, rien ne change. A l’avenir, les parents de plusieurs enfants pourront disposer librement d’une part plus grande de leur patrimoine, puisque la « quotité disponible » représentera dans tous les cas la moitié.

« Il y a des pays, comme les Etats-Unis, où il n’y a pas de réserve légale pour les enfants, fait remarquer Alain Laurent Verbeke. Mais dans notre pays, la suppression de la part réservataire est un sujet sensible. Il n’est pas non plus possible de déshériter un enfant, avec lequel vous n’avez, par exemple, plus de contact depuis 20 ans. J’ai proposé d’offrir la possibilité à un parent de réduire de moitié la réserve légale d’un enfant ‘méchant’, comme c’est permis notamment en Autriche, mais cette mesure n’a guère de partisans en Belgique. »

En ce qui concerne les beaux-enfants, le pacte de famille offre une issue qui n’existe pas actuellement. « Si les autres enfants sont d’accord, vous pouvez recourir à un pacte successoral pour laisser une partie d’héritage à vos beaux-enfants, détaille Alain Laurent Verbeke. Concernant le droit héréditaire légal des enfants d’un autre lit, rien ne change. Les enfants du conjoint survivant n’ont aucun droit sur l’héritage du défunt, à moins d’avoir été adoptés par ce dernier. »

« Pour les petits-enfants aussi, on peut prévoir dans le pacte une renonciation des enfants à leurs droits au bénéfice des petits-enfants, poursuit l’avocat. Si vous voulez être certain que vos enfants n’iront pas s’opposer à ce principe après votre mort, vous avez besoin de leur signature. Il faut ici aussi respecter un sens subjectif de l’équilibre dans la répartition du patrimoine. Vous pouvez en principe opter pour l’égalité de traitement entre vos petits-enfants, mais vous ne tenez pas compte alors des arrière-petits-enfants. Je penche pour ma part pour l’égalité de traitement entre les diverses branches de la famille. Imaginez que votre fils n’ait qu’un enfant alors que votre fille en a six. Il peut très bien arriver que la situation s’inverse à la génération suivante. »

La part réservataire pour les parents, par contre, sera supprimée. « Nous étions le dernier pays en Europe, et peut-être bien dans le monde, avec une réserve légale pour les parents en cas de décès d’une personne sans descendants », constate Alain Laurent Verbeke. Cette part réservataire, qui représente actuellement un quart de l’héritage par parent, sera remplacée par une créance alimentaire se montant au maximum à un quart de l’héritage. Dans le cas où les parents seraient indigents, la succession devra prévoir quelque chose pour eux. Alain Laurent Verbeke se dit lui-même fervent partisan de cette créance alimentaire. « La réserve légale est un canon aveugle du 19e siècle, tandis que la créance alimentaire est un missile à guidage laser, qui permet de viser avec beaucoup plus de précision. C’est l’approche anglo-saxonne. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, par exemple, il n’y a pas de réserve pour les enfants, mais ceux-ci ont néanmoins droit à de l’argent pour leur éducation et leur formation. Et en cas de conflit concernant la somme d’argent dont ces enfants ont besoin à cet effet, c’est un juge qui tranche. »

Deux autres modifications importantes sont encore prévues dans la nouvelle loi qui auront une influence sur la réserve légale. D’abord, il sera désormais question, dans une succession, de « valeur » et non plus de « nature ». Cela signifie que dans une famille de deux enfants, un enfant a droit, par exemple, à la moitié de la valeur de la maison familiale, mais pas forcément à la moitié de cette maison. Si l’un des enfants peut racheter sa part à l’autre, il ne devra pas y avoir de vente publique. Ou peut-être y aura-t-il suffisamment de liquidités ou autres actifs dans la succession pour permettre une répartition équitable.

Ensuite, les biens tant meubles qu’immeubles donnés seront estimés à leur valeur au moment de la donation, et cette valeur sera indexée jusqu’au jour du décès du de cujus. En cas de donation sous réserve d’usufruit, l’appréciation portera sur le moment où cet usufruit s’éteint et où le donataire entre pleinement en possession du bien. Actuellement, il y a inégalité de traitement entre les différents types de biens. Imaginons par exemple qu’un parent donne à ses enfants respectivement un portefeuille de titres, de l’argent liquide et une habitation qui valent la même chose au moment de la donation. Des années plus tard, le parent décède ; le portefeuille ou la maison ont pris de la valeur, et cette valeur devra être prise en compte dans le calcul de la réserve, tandis que l’argent liquide comptera pour sa valeur nominale au moment de la donation.

Le timing

La date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi de succession n’est pas encore certaine. En janvier, quatre parlementaires de la majorité introduiront une proposition de loi. Ensuite, cette proposition devra suivre la voie parlementaire usuelle. Le Conseil d’Etat devra encore donner son avis. Enfin, il y aura un débat en Commission de la Justice et en séance plénière du Parlement, après quoi l’opposition pourra introduire des propositions d’amendements.

« Je peux difficilement prédire l’agenda de la Commission de la Justice, déclare Sieghild Lacoere, porte-parole du ministre de la Justice, Koen Geens. Dans le meilleur des cas, nous aurons une nouvelle loi d’ici l’été. « Personnellement, je pense que ce sera plutôt à l’automne, réagit Alain Laurent Verbeke. La façon dont le ministre Geens a mené ce processus à bonne fin est en tout cas du jamais vu. En mai 2015, le ministre a constitué un groupe de travail avec tous les professeurs en droit patrimonial familial, des représentants des associations de notaires et avocats et des parlementaires. La proposition de loi est le résultat d’un consensus au sein de ce groupe ; autrement dit, elle bénéficie d’un large soutien. »

Le ministre espère en tout cas qu’une nouvelle loi de succession sera votée cette année. Un nouveau droit patrimonial des couples est également à l’étude, mais ce ne sera plus pour cette année. Les débats sur le sujet en sont à un stade nettement moins avancé et de plus, il y a plus d’obstacles idéologiques à surmonter. A suivre, donc.

ILSE DE WITTE