​Koen Geens: "On me connaît mal si on pense que je vais abandonner"​

le samedi 20 janvier 2018 09:20 L'Echo

Koen Geens "On me connaît mal si on pense que je vais abandonner"

La semaine d'un ministre de la Justice n'est jamais un long fleuve tranquille. Mais celle qui vient de s'écouler a vu le fleuve en question sortir de son lit, menaçant de tout emporter sur son passage. Depuis lundi, Koen Geens doit affronter une fronde sans précédent du ministère Public qui remet sérieusement en question la réforme engagée du Code de procédure pénale. Habituellement pondéré, il n'est pas du genre à porter sur son visage l'humeur du jour. Lorsque cet entretien a été réalisé, il venait d'apprendre la mauvaise nouvelle, sous forme d'un courrier passé au Soir et au Standaard. Signé des représentants de procureurs du roi, des procureurs généraux, des secrétaires en chef et des auditeurs du travail, la lettre est une attaque en règle du projet de réforme du code de procédure pénale, un des chevaux de bataille du ministre et sans doute un des derniers grands projets qu'il entend mener à bien avant les prochaines élections. Malgré la fronde, le ministre ne compte pas lâcher prise. "On a échoué dans trois grandes réformes de la procédure pénale. J'espère que l'on réussira celle-ci et on me connaît mal si on pense que je vais abandonner. Jusqu'à présent, j'ai toujours eu une bonne relation avec le ministère public. Avec eux, j'ai élaboré une loi sur les infiltrations, sur les repentis, sur les méthodes particulières d'enquête, j'ai bossé comme un fou. Cette fois, on parle d'une grande réforme annoncée depuis longtemps. Elle ne sera pas votée demain et si elle l'est, ce sera juste avant les élections. Du coup, je ne comprends pas une telle précipitation."

Malentendu?

Ce qui passe en réalité très mal du côté du ministère public, c'est le sentiment que le ministre de la Justice tente le passage en force, là où Koen Geens parle de concertation. Il est vrai que lundi dernier, en soirée, le collège des procureurs a eu l'occasion de rencontrer les experts chargés de mener à bien la réforme. Voilà pour la concertation. Faux, répondent des membres du ministère public qui prétendent que cette rencontre a été organisée en dernière minute pour tenter de faire face à la fronde. Doit-on vous préciser que le ministre ne partage pas du tout cette manière de voir les choses? "J'essaie de m'investir à 200% dans cet exercice de recodification, comme je l'ai fait pour le droit successoral et pour le droit matrimonial. Dans ces matières, j'ai eu des réunions avec des experts, des parlementaires, des membres des cabinets et les stakeholders entre 10 et 15 samedis", explique-t-il, avant de préciser que les experts n'en sont qu'aux 3/5e de leur travail. Que bon nombre de réunions de concertation doivent encore avoir lieu, rien n'y fait, le courant semble ne plus passer entre les pouvoirs législatif et judiciaire. "C'est fort dommage que le ministère public, avant même d'avoir rencontré les cinq experts, m'a transmis cet avis. Je qualifie cet avis de non sollicité et de prématuré dans la mesure où le texte dont on parle n'est qu'une première version non finie."

Cette réaction du ministère public est à lire dans un contexte nettement plus large de la volonté de réforme de Koen Geens. Le ministre de la Justice est probablement celui, dans l'histoire récente, dont l'ambition est la plus importante. Le tout avec un budget en baisse constante et des moyens en berne qui font hurler la base, confrontée à un manque de personnel.

Dans le courant du mois de décembre, une des décisions phares de Koen Geens, dans la sphère pénale, s'est vue sèchement retoquer par la cour constitutionnelle. Celle-ci a mis un frein à l'ambition de supprimer ou de vider de sa substance la cour d'assises dont la procédure est jugée trop longue, pénible et coûteuse. Cette décision de la cour constitutionnelle est capitale et elle pourrait avoir des effets désastreux. "Est-ce qu'on veut abroger le jury d'assises? Beaucoup de magistrats en rêvent. Les défenseurs les plus ardus du jury sont convaincus qu'il ne faut pas maintenir cette procédure orale interminable. Pour ma part, je préfère un jury composé de quatre jurés dans lequel les non-professionnels ont la majorité. C'est une originalité belge. Quand on innove, il faut évaluer. On ne sait pas ce que cela va donner en rythme de croisière, mais je crois que c'est une très bonne proposition." On ne sait plus si c'est le ministre qui parle ou l'avocat qui plaide. L'avocat n'aime pas perdre. Le ministre n'apprécie pas l'échec.

Il parle, il parle, le poisson qu'on lui a servi refroidit dans l'assiette. Il refuse un deuxième verre de vin blanc.

Ramener les enfants

Alors que le procès de Salah Abdeslam, le seul survivant des attentats de Paris, commencera au début du mois de février, la Justice belge est prête à gérer ce nouveau volet de son histoire judiciaire. "La France trouve qu'elle doit garder la responsabilité de ce Monsieur sous ses conditions car c'est un des seuls survivants du Bataclan. Nous respectons cela. Mais nous voulons démontrer, une fois de plus, qu'en matière de terrorisme, malgré notre réputation, nous sommes très efficaces. Le parquet fédéral preste des services très importants." Le ministre n'attend rien d'exceptionnel de ce procès hors norme. "J'espère surtout qu'il s'agira d'un procès comme les autres en termes de justice rendue, avec la même impartialité, mais de cela, je ne doute pas."

Toujours à propos de terrorisme, selon les derniers chiffres disponibles, entre 70 et 100 enfants de personnes parties combattre se trouvent aujourd'hui en Irak ou en Syrie. Quelle est la politique par rapport à ces enfants? "Séparer des enfants et des parents, c'est toujours délicat. Quand les parents sont poursuivis en Irak ou en Turquie, par exemple, il peut être souhaitable que ces enfants aient le droit de revenir chez leurs grands-parents ou dans leur famille." Pour Koen Geens, les choses sont claires. Si les enfants ont moins de dix ans et s'ils ont manifesté leur intention de revenir, il doit y avoir un droit de retour automatique. Dans ce cas-là, assure le ministre, la ligne est claire. "De 10 à 18 ans, il faut procéder au cas par cas et voir ce qu'il s'est passé. Les services de sécurité nous disent que le risque d'entraînement chez les enfants existe réellement. Il faut être réaliste par rapport à cela, ce qui peut être dur car, 12 ou 14 ans, cela reste jeune."

JULIEN BALBONI ET NICOLAS KESZEI