La nouvelle loi vise les appartements vétustes

le jeudi 02 mai 2019 10:15 Tendances

La nouvelle loi sur la copropriété a pour but de simplifier la vie en immeuble à appartements. Les copropriétaires peuvent entre autres décider plus facilement la destruction et la reconstruction du bâtiment par exemple. Quant à savoir si cette loi favorisera le renouvellement de notre patrimoine d’appartements…

L’« appartementisation » du marché belge du logement se poursuit inexorablement. Depuis 2003, les permis délivrés pour de nouveaux flats sont systématiquement plus nombreux que ceux relatifs aux habitations unifamiliales. Le fossé s’est creusé encore un peu plus ces cinq dernières années. En 2018, les appartements représentaient 61% des unités de logement ayant fait l’objet d’un permis de bâtir, d’après les chiffres de Statbel. Plus de résidents et de propriétaires d’appartements signifie aussi plus de Belges confrontés à la loi sur la copropriété, la fameuse loi qui réglemente la gestion des parties communes (toit, escaliers, ascenseur, etc.). Cette loi a subi un sérieux lifting en début d’année. La prise de décisions par l’association des copropriétaires s’en trouve facilitée. La loi réformée a également pour but d’optimiser l’efficacité au sein des associations de copropriétaires et d’assurer une plus grande transparence ( lire l’encadré « La réforme en quelques lignes » ).

Véritable avancée ou opportunité ratée ?

Deux ans de travaux préparatifs ont précédé la réforme de la loi. En 2016, le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) a créé un groupe de travail sous la houlette d’éminents professeurs. Tous les acteurs concernés – syndics, copropriétaires, notaires – y étaient représentés. Le ministre qui se dit satisfait du résultat a d’ores et déjà reçu de nombreuses réactions positives sur le terrain. « En particulier sur le changement autorisant l’association des copropriétaires à décider, autrement qu’à l’unanimité, la démolition et la reconstruction d’un bâtiment, précise le ministre. Le critère d’unanimité était souvent critiqué et dénoncé comme instrument de blocage dans de nombreux dossiers. »

Conformément à la loi réformée, la démolition et la reconstruction sont en effet possibles moyennant l’accord des quatre cinquièmes des copropriétaires. Le but est de faciliter le remplacement dans les meilleurs délais des immeubles vétustes par du bâti neuf plus performant. Le promoteur immobilier Bart Versluys, un des grands défenseurs de l’assouplissement, ne cache pas sa déception. Dans une interview publiée dans le Guide immobilier de Trends-Tendances , il fait remarquer que « le projet de loi a été vidé de tous ses points forts ». « Le bâtiment doit être quasi sur le point de s’écrouler pour obtenir l’autorisation de le démolir, ironise Bart Versluys. Ce n’est pas ainsi qu’on va moderniser notre patrimoine logement. »

Bart Versluys fait référence aux conditions supplémentaires imposées par la loi nouvelle mouture. La décision à la majorité des quatre cinquièmes quant à la démolition suivie de la reconstruction complète du bâtiment doit être justifiée « pour des raisons d’hygiène ou de sécurité, ou si le coût du projet de rénovation est considéré comme excessif ».

Le texte de loi final est un bon compromis entre le droit de propriété individuel et l’intérêt général, estime le ministre Koen Geens. « A un moment donné, il faut pouvoir faire des compromis, dit-il. L’avancée est peut-être moins rapide qu’on ne l’espérait mais l’avancée est réelle malgré tout. »

Sus aux coucous

Pour Rik Missault, co-CEO du promoteur immobilier ION de Waregem, la loi réformée a au moins l’avantage de décourager les « acheteurs coucous ». « Ceux qui achètent un appartement dans un immeuble dans le seul et unique but d’acquérir la voix qui leur permettra de bloquer le processus décisionnel à l’assemblée générale, explique-t-il. Ce qui leur confère une position de force dans les négociations. »

Selon Rik Missault, ce genre de manœuvre avait pour effet de freiner la rénovation urbaine. La plupart des immeubles à appartements (en centre-ville) appartiennent à différents propriétaires. La réunion de ces propriétés morcelées constitue une réelle plus-value pour le promoteur immobilier. « Le promoteur immobilier prend le risque d’acheter le bâtiment petit bout par petit bout, poursuit Rik Missault. Dans le but de démolir l’immeuble vétuste et de construire du neuf. Mais s’il lui manque un seul petit bout, il a un gros problème. Conformément à la nouvelle loi, le ‘coucou’ doit rassembler 20% des voix, ce qui complique sérieusement ce genre de manœuvre. »

Ceci dit, Rik Missault condamne lui aussi les conditions imposées à la suppression du critère d’unanimité : « La loi parle de coût excessif. Le rehaussement des performances énergétiques d’un vieil immeuble à appartements au niveau de celui d’une nouvelle construction est effectivement très coûteux, voire impayable. Dans ce cas, mieux vaut démolir et reconstruire. Mais l’intention du législateur est-elle claire ? Et qui décidera ? Le juge de paix vraisemblablement car les conditions sont tellement floues qu’en pratique, cela risque fort de déboucher sur un procès ».

La réforme de cet élément clé de la loi est-elle un coup dans l’eau ? « Il ne faut pas exagérer, réagit Ludo Ockier, avocat spécialisé dans l’immobilier. La possibilité offerte par la nouvelle loi de démolir un bâtiment sur une décision prise à la majorité qualifiée est révolutionnaire, assurément. Il n’empêche, les modalités pratiques de faisabilité posent question. Combien d’immeubles satisferont aux conditions qu’impose la loi à la suppression du critère d’unanimité ? ».

Ludo Ockier pointe encore un autre problème. « La loi parle de reconstruction mais le concept n’est toujours pas défini juridiquement. Si la reconstruction se fait à l’identique, pas de problème. Mais ce ne sera pour ainsi dire jamais le cas en pratique, ne fût-ce que parce que les règles d’urbanisme ont changé entre-temps. »

Objectifs climatiques

Reste à voir comment les conditions et les concepts de la loi seront interprétés en justice, fait remarquer Ludo Ockier. La loi revisitée n’offre aucune parade contre les manœuvres de retardement des copropriétaires de mauvaise volonté, souligne l’avocat. « Tous les citoyens doivent évidemment pouvoir faire valoir leurs droits, nuance-t-il. Mais le recours à la justice aura pour effet de ralentir le processus. Un copropriétaire en désaccord avec la décision de l’assemblée générale peut solliciter le juge de paix. Il peut ensuite faire appel au tribunal de première instance et enfin, se pourvoir en cassation. La procédure peut prendre facilement trois à quatre ans. »

La perspective n’a rien de réjouissant vu l’urgence de rehausser la performance énergétique de notre patrimoine résidentiel pour atteindre les objectifs climatiques. Un assouplissement accru des processus décisionnels n’est-il pas souhaitable compte tenu du contexte ? « Il y a sûrement moyen de faire mieux encore, répond le ministre Koen Geens. Je tiens cependant à souligner que l’assouplissement ne se limite pas au scénario de démolition suivie d’une reconstruction. Une des buts de l’assouplissement des règles de majorité est précisément de permettre les travaux d’isolation dans les communs. »

A en croire Rik Missault, la démolition et la reconstruction des immeubles à appartements vétustes sont une des meilleures façons d’atteindre les objectifs climatiques. « Le morcellement de la propriété constitue un obstacle de taille en Belgique. Il faudra bien trouver une solution pour accélérer la démolition des vieux immeubles et leur remplacement par du neuf. Dans le nouveau bâti, le niveau E30 devient peu à peu la norme. Dans le cas d’une rénovation, c’est tout simplement impossible. Une rénovation en profondeur permet d’atteindre un niveau E150 tout au plus. »

Bonne nouvelle, selon Rik Missault : le « Stop au béton » favorise le renouvellement du patrimoine d’appartements. « Les grands immeubles en ville et en périphérie sont les plus pollueurs. Leur remplacement par de nouvelles constructions à plus forte densité permet de ne pas devoir sacrifier de nouveaux espaces. Le Stop au béton ne fait donc que renforcer la nécessité d’attaquer à la racine le problème des immeubles à appartements surannés. »

LAURENZ VERLEDENS


La réforme en quelques lignes

La première loi sur la copropriété qui date de 1994 a été remaniée à plusieurs reprises. Le dernier remaniement remonte à 2010. « Le droit qui était en vigueur n’était donc pas si vieux, insiste le ministre Koen Geens. La loi précédente était parfaitement viable mais certains éléments rendaient la vie en immeuble à appartements parfois difficile. Nous l’avons donc réformée pour éviter les problèmes. »

La réforme porte sur quatre grandes lignes directrices. La première est une plus grande flexibilité. La loi réformée assouplit les majorités qualifiées au sein de l’assemblée générale des copropriétaires. En ce qui concerne les décisions sur les travaux dans les communs, la majorité des trois quarts a été ramenée à la majorité des deux tiers. Pour les décisions à prendre quant aux travaux rendus obligatoires par la législation, une majorité absolue suffit. L’introduction du statut d’administrateur provisoire en cas de blocage du processus décisionnel au sein de l’association de copropriétaires entre également dans le cadre d’une «flexibilisation» accrue.

La deuxième ligne directrice de la réforme vise une plus grande efficacité dans la gestion de la copropriété. Le règlement de copropriété est simplifié. Résultat : un règlement d’ordre intérieur plus light au niveau des procédures. Ainsi par exemple, une modification des règles inhérentes à l’assemblée générale ne doit plus faire l’objet d’un acte notarié. La nouvelle prévoit également la constitution d’un capital de réserve obligatoire.

La troisième ligne conductrice de la réforme est le rééquilibrage des droits et obligations des différents acteurs concernés. La principale modification est l’introduction du principe «le payeur décide». Ainsi, par exemple, dorénavant seuls les copropriétaires qui paient pour l’utilisation de l’ascenseur peuvent décider de son éventuelle rénovation. Les résidents du rez-de-chaussée devront s’abstenir au moment du vote.

Enfin, le quatrième volet de la réforme apporte certaines clarifications. Exemple : la nouvelle loi stipule expressément que seul le juge de paix est compétent dans les différends inhérents à la copropriété forcée.