"Du juge d'instruction vers le juge de l'enquête: analyse critique et de droit comparé" (Journée d'étude ULB)

op 23 november 2017 15:00 Toespraken

Mesdames et messieurs,

Je suis très heureux d’ouvrir cette journée d’étude consacrée à une analyse de droit comparé de l’évolution du juge d’instruction vers le juge de l’enquête.

Deux experts, qui ont accepté de faire partie de la Commission de réforme de la procédure pénale que j’ai mise sur pied en octobre 2015, sont étroitement associés à cette journée d’études. 

Il s’agit de Mme Marie-Aude Beernaert, professeure à l’Université catholique de Louvain, et de M. Laurent Kennes, maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles. La Commission a élaboré, à ma demande, une note d’orientation de réforme du Code d’instruction criminelle et élabore actuellement un projet de Code de procédure pénale. Je profite de cette occasion pour les remercier vivement de leur investissement. 

Il est essentiel que ces travaux soient éclairés par la situation dans d’autres systèmes juridiques.

La criminalité ne s’arrête pas aux frontières d’un État ou à celles des États membres de l’Union européenne. Une approche efficace de la criminalité nécessite une collaboration avec nos pays voisins, les États membres de l’Union européenne et les pays tiers avec lesquels nous commerçons et entretenons d’autres relations internationales.

Il convient de chercher une cohérence avec leurs systèmes juridiques, dans le respect des normes internationales, et en particulier celles qui garantissent les droits et libertés individuels. Il est, encore, nécessaire d’apprécier la qualité des procédures pénales appliquées au sein d’autres États démocratiques, pour chercher à améliorer le nôtre.

La Commission de réforme de la procédure pénale m’a déjà soumis un texte reprenant les grands axes de la réforme dont il est question. Ses membres s’attellent actuellement à rédiger le projet de nouveau Code.

Le choix stratégique central préconisé par la Commission est d’instaurer un seul type d’enquête préliminaire, sous la direction du ministère public et sous le contrôle renforcé d’un juge de l’enquête.

C’est précisément le thème de ce colloque.

Ce juge de l’enquête endossera le rôle de « gardien des libertés » et pourra, après une analyse approfondie du dossier et un contrôle de certaines conditions légales, accorder ou non l’autorisation de procéder aux mesures d’enquête et de sécurité les plus intrusives (parmi lesquelles les écoutes téléphoniques, le mandat d’arrêt, la perquisition, etc.).

Le choix d’une enquête préliminaire uniforme sous la direction du ministère public implique que la responsabilité de ce dernier, en sa qualité d’organe d’enquête et de poursuites indépendant et impartial, soit renforcée. En ce sens, il lui est imposé de mener l’enquête à charge et à décharge dans le seul dessein de la recherche de la vérité, davantage que ce n’est le cas aujourd’hui.

Le choix de la commission d’experts est un choix difficile qui conduit au changement. Ce choix, j’entends le soutenir. Non pas par manque de respect envers les juges d’instruction qui font actuellement un travail parfois quasiment impossible en se chargeant, de leur propre initiative, de l’instruction pénale, ce qui les oblige à gérer des dossiers parfois très volumineux. Je ne saurais jamais assez les remercier pour le travail qu’ils accomplissent jour après jour.

Cependant, le changement suppose également que nous osions, de manière critique, remettre en question les structures et procédures existantes ainsi que l’efficacité des enquêtes et les comparer avec d’autres systèmes. Ce n’est pas une question d’appréciation du passé, mais d’estimation pour l’avenir.

Le choix du groupe d’experts a incontestablement l’avantage qu’il permet de gagner en simplicité et cohérence, alors même que la société et la criminalité qui s’y passe deviennent toujours plus complexes. Il nous faut également adapter nos procédures judiciaires aux nouveaux enjeux, toujours en respectant les checks and balances requis par le système pénal au sein de notre Etat de droit.

Dans un tel système, la politique criminelle gagne en cohérence. En effet, un juge d’instruction, comme membre du pouvoir judiciaire, n’est pas lié aux directives de la politique criminelle qui sont définies par le ministre de la Justice et le Collège des procureurs généraux. Cette situation implique que les moyens et la capacité dédiés à l’enquête ne sont, à ce jour, pas orientés uniformément et que les choix stratégiques ne sont pas toujours exécutés de manière égale lorsqu’il s’agit de fixer les priorités durant les enquêtes judiciaires.

Une telle innovation nécessite également l’uniformisation des droits de participation des suspects et des victimes. J’estime qu’il faut y accorder une attention tout particulière.

De nombreuses plaintes, émanant de citoyens de plus en plus méfiants vis-à-vis de l’appareil judiciaire, concernent une information insuffisante ou tardive de l’affaire dans laquelle ils sont impliqués. Ils se plaignent aussi d’un manque de motivation des décisions prises au cours de l’enquête. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de décider d’avoir recours à certains actes d’enquête, d’engager ou non des poursuites pénales ou encore de réquisitionner des moyens existants via une procédure civile d’indemnisation, à la suite d’une décision de classement sans suite.

La législation actuelle garantit ces droits d’accès au dossier ou à solliciter des devoirs complémentaires durant les enquêtes judiciaires menées sous la direction du juge d’instruction. Mais ces droits sont plus limités dans le cadre d’informations judiciaires, qui constituent environ 95 % de l’ensemble des enquêtes préliminaires. En outre,le droit d’accès au dossier n’est jamais automatique, contrairement au projet suggéré par la Commission de réforme.

En ce qui concerne les victimes, les experts proposent d’introduire un nouveau droit de participation, à savoir la possibilité de recours contre les décisions du ministère public en cas de renoncement aux poursuites. Ceci pourrait, dès lors, remplacer la possibilité d’exercer une action publique au moyen d’une plainte avec constitution de partie civile, autre élément du droit actuel que la politique pénale permet difficilement.

Sur la base des propositions de la Commission, les thématiques qui seront traitées aujourd’hui et durant les deux prochaines années concernent donc les fondements de notre État de droit et l’essence de notre politique criminelle.

La période 2017-2018 est plus que jamais celle de cette réforme approfondie qui nous permettra de connaître à nouveau une procédure pénale efficace, garante d’un procès juste et équilibré.
Je vous souhaite un colloque fructueux.