Conférence avocat.be

op 27 oktober 2016 19:48 Avocats.be

De Minister van Justitie

DISCOURS

(27/10/2016)

CONFERENCE AVOCATS.BE

Le pouvoir judiciaire est-il souverain ? Oui et non …..

Le sujet suggéré par votre nouveau président, notre éminent confrère Buyle, insistait sur la souveraineté du juge, et cela ne vous étonnera pas que ça me faisait penser à la souveraineté du juge de fond dans l’appréciation des faits. Ce jeu de mots me donnait l’excuse de lire la thèse de doctorat de Madame Muller récemment défendue à l’UCL sur l’histoire de la Cour de Cassation. Je vous conseille vivement cette lecture. Saviez-vous que l’ancienne question si la Cour faisait partie du pouvoir législatif ou du pouvoir judiciaire, n’a été résolue dans ce sens-ci que tout récemment, à savoir à la fin des années 40 du XXème siècle.

Autre rafraîchissement de mémoire: le principe de la responsabilité de l’état dans le sens large fut déjà accepté en 1837, mais fut transformé seulement trois ans plus tard, dans le sens français, en "automutilation"du judiciaire et immunité de l’exécutif, jusqu’à l’arrêt Flandria de 1920. La responsabilité de l’Etat pour les fautes du judiciaire se laisse encore attendre jusqu’en 1991 et pour les fautes du législatif jusqu’en 2006.Malgré ou, selon certain, grâce à ce revirement, le Conseil d’Etat a –néanmoins ou justement- été instauré en 1946. Le XIXème siècle était selon Laurent celui de la loi et le XXème siècle qui était selon De Pagecelui de la jurisprudence.

En tout cas, le pouvoir judiciaire n’est pas souverain dans le sens politologique de la souveraineté qu’on appelle également "la souveraineté d’Etat", c’est-à-dire "l’autorité suprême dans l’Etat".

La définition retenue aujourd'hui en droit est celle énoncée par Louis Le Fur à la fin du XIXème siècle : « La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser

Une définition classique de la souveraineté se trouve dans la sentence arbitrale rendue dans l'affaire de l'île de Palmas (États-Unis c/ Pays-Bas, 4 avril 1928) où l'arbitre unique, Max Huber, déclare : « Sovereignty in the relations between States signifies independence. Independence in regard to a portion of the globe is the right to exercise therein, to the exclusion of any other State, the functions of a State. » (Cour permanente d'Arbitrage, sentence arbitrale, p. 7, http://www.pca-cpa.org/).

On distingue souvent la souveraineté de droit divin et la Souveraineté royale. Mais en réalité il s’agit d’une confusion. La plupart des régimes monarchiques sont en réalité de droit divin et les papes étaient également des monarques. On oppose plutôt pouvoir spirituel (direction des croyants) et pouvoir temporel (séculier). Le pape possédait les deux pouvoirs, le premier sur l'Église (communauté des croyants) tandis que le second se limitait à ses terres. Le roi, lui, ne possédait que le pouvoir temporel sur ses sujets.

Il y a aussi la souveraineté populaire, mais de nos jours, fort heureusement, on préfère la souveraineté nationale ce qui est une notion développée par Sieyès.

En effet, l’article 33 de notre Constitution stipule : « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. » Ce principe est ensuite immédiatement transposé dans la règle de la « séparation des pouvoirs », qui, pour des motifs évidents de légitimité démocratique, attribue le pouvoir le plus élevé au sens fonctionnel du terme, c’est-à-dire la fonction de réglementation – bien entendu sans préjudice du pouvoir constitutionnel – au pouvoir législatif dans son acception organique dans les articles 36 et 42.

Ajoutons -hors sujet- que les Etats-nations partagent de plus en plus leur souveraineté avec d’autres Etats dans le cadre d’organisations supranationales comme l’Union Européenne.

Dans un Etat de droit démocratique, la suprématie du pouvoir législatif nous conduit en droite ligne à la "séparation des pouvoirs", sur base de laquelle une forme de "souveraineté" revient bel et bien au pouvoir judiciaire, plus précisément son indépendance, sur laquelle j’en dirai plus tout à l’heure.

En effet, dans un sens non-politologique, le pouvoir judiciaire est souverain parce que la mission fondamentale du juge est de régler les contestations juridictionnelles – dire le droit contesté entre parties. Mais qu’un juge “dise le droit” ne signifie pas qu’il puisse promulguer du droit. Qu’un juge ne puisse pas promulguer des règles de droit figure littéralement dans la Code judiciaire, article 6, et est sanctionné en droit pénal, en tant qu’« empiètement des autorités administratives et judiciaires», par l’article 237 du Code pénal: « Sont punissables les membres et membres assesseurs des cours et tribunaux […] qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, soit par des règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou suspendant l'exécution d'une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si ces lois seront exécutées.»

Il s’ensuit directement que la jurisprudence n’est pas du droit, mais exclusivement une source de droit qui a autorité « persuasive ».

Cela n’enlève rien au fait qu’en tant que source de droit, la jurisprudence fasse autorité. Dans la pratique, la "jurisprudence constante" est souvent plus importante que la règle de droit interprétée par cette jurisprudence, parce que la jurisprudence détermine la portée concrète de la règle et parce que les parties se trouvent devant le juge, et non devant le législateur.

L’article 1 du Code civil suisse stipule :

« A. Application de la loi

1. La loi régit toutes les matières auxquelles se rapportent la lettre ou l'esprit de l'une de ses dispositions.

2. A défaut d'une disposition légale applicable, le juge prononce selon le droit coutumier et, à défaut d'une coutume, selon les règles qu'il établirait s'il avait à faire acte de législateur.

3. Il s'inspire des solutions consacrées par la doctrine et la jurisprudence. »

Mais, en réalité, il en va ainsi chez nous également. Ainsi, la Cour de Cassation a dit littéralement:

« Lorsque la Cour constitutionnelle constate qu'en raison d'une lacune, une disposition légale (en matière de procédure pénale) viole (les articles 10 et 11 de) la Constitution, il appartient au juge (pénal), pour autant que possible, de combler cette lacune. Cette possibilité dépend de la nature de l'omission. Si le comblement de la lacune requiert un régime (procédural) totalement différent, le juge ne peut se substituer au législateur. Mais s'il est possible de mettre fin à l'inconstitutionnalité en se bornant à compléter la disposition légale de sorte qu'elle ne soit plus contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, le juge a le pouvoir et le devoir de le faire. » (Cass. 14 octobre 2008, www.cass.be).

Il y donc un énorme pouvoir discrétionnaire du juge, sur la base duquel il peut mener lui-même une "politique", avec une appréciation de valeurs et/ou d’intérêts qui le conduit à opter pour l’une ou pour l’autre des diverses décisions potentielles, en ce compris des interprétations. L’article 6 du Code judiciaire ne signifie donc pas qu’un juge ne puisse pas suivre des précédents. Il ne peut toutefois le faire que parce qu’il les approuve et s’y rallie, non pas parce qu’il est tenu de le faire.

Le juge qui mène une politique doit en être conscient, et motiver sa décision loyalement, c’est-à-dire expliquer de façon transparente où, passez-moi l’expression, il est allé chercher la moutarde. Il doit aussi être conscient de son pouvoir, plus encore que dans un cas usuel. Il ne lui revient pas de faire valoir son opinion politique propre parce que, dans ce cas, il manquerait d’objectivité et d’impartialité, en l’espèce, d’indépendance vis-à-vis de ses propres convictions. Son jugement doit, à mon avis, s’inscrire dans l’opinion majoritaire qui prévaut au moment de la décision, et sa motivation doit consister à vérifier la cohérence systématique de cette opinion, à la rendre compréhensible et intelligible, et la faire prévaloir ensuite pour autant qu’elle soit conciliable avec la Constitution et les valeurs et droits fondamentaux tels que prescrits par les Traités Internationaux.

Ce qui est essentiel dans l’acte juridictionnel, c’est qu’il met fin à un litige par voie d’autorité.


Montesquieu disait: « Le repos des familles et de la société toute entière se fonde non seulement sur ce qui est juste, mais sur ce qui est fini. » Le juge ne décide donc pas uniquement laquelle des parties obtient gain de cause et dans quelle mesure, mais il le fait également de manière définitive. C’est ce que recouvre la notion de "trancher", ce qui n’est pas la même que celle de "résoudre". C’est cette portée bien comprise de la notion de « trancher » qui donne l’autorité particulière à un acte juridictionnel : l’autorité de la chose jugée, qui implique bien une forme d’autorité supérieure et donc de souveraineté.

L’autorité de la chose jugée signifie que les parties ne peuvent pas (faire) revenir sur une décision judiciaire en réitérant leur demande (art. 285, CJ) (en quelque sorte “Roma locuta, causa finita”).

La logique du règlement d’un litige est qu’une valeur particulière de preuve est donnée à une décision judiciaire, une présomption ‘iuris tantum’ de légalité (voir art. 1350, 3°, et 1352, C.civ. (“res iudicata pro veritate habetur”). Il serait en effet insensé que quelqu’un qui s’est vu donner gain de cause par le juge doive (chaque fois) démontrer à nouveau qu’il a raison.

« C’est donc le juge et lui seulement qui détermine qui a raison. »Quand on parle de souveraineté …

Dans son œuvre célèbre « De l'esprit des lois » (dans laquelle il n’a jamais utilisé la notion de « séparation des pouvoirs »), Montesquieu se fondait sur le système anglais de checks et balances, qui limitait la puissance publique en la répartissant sur différents organes qui se contrôlent et se limitent mutuellement.

Il convient tout d’abord de faire une distinction précise entre les trois fonctions exercées au sein de l’Etat (les «pouvoirs » au sens fonctionnel du terme) : la fonction législative, la fonction exécutive ou administrative, et la fonction judiciaire ou la jurisprudence.

En pratique, la théorie requiert de retirer la législation et la jurisprudence à l’administration précédemment tout puissante, qui était la puissance publique primaire et globale, et de confier ces tâches à de nouveaux pouvoirs législatifs et judiciaires à créer. Parce qu’il ne doit pas appliquer ses règles juridiques, le législateur ne se laisserait guider que par l’intérêt général lors de leur rédaction. Parce qu’ils n’ont pas à attendre personnellement d’avantages ou d’inconvénients, les juges se préoccuperaient uniquement de savoir si l’administration a agi de manière « régulière », c’est-à-dire conformément aux règles légales établies.

Il est vrai que trois pouvoirs ont ainsi été créés mais, au départ, ils étaient tout sauf séparés. Le Roi assumant un rôle central dans le pouvoir législatif, est également chargé du pouvoir exécutif. Ensuite, les ministres du Roi sont assujettis à la Chambre des Représentants, qui dispose du "government making power". De leur côté, les membres du pouvoir judiciaire sont nommés par le Roi, c’est-à-dire le pouvoir (fédéral) exécutif, qui est également chargé de l’exécution des jugements et arrêts.

Enfin, comme déjà souligné, les pouvoirs de l’Etat ne sont pas souverains dans la même mesure : la Constitution est la norme la plus élevée, et parmi les pouvoirs constitués, le pouvoir législatif, du fait de sa légitimité démocratique directe, possède juridiquement la priorité et du moins le dernier mot.

Aujourd’hui la séparation des pouvoirs peut être résumée comme étant l’interdiction pour tout pouvoir public, dans l’exercice de la fonction qui lui a été confiée, de s’arroger l’appréciation qui revient à une autre autorité dans l’exercice d’une autre fonction. A l’égard des juges, cela signifie que le juge est préservé de l’immixtion des autres pouvoirs dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, c’est-à-dire le règlement des litiges qui surviennent à l’occasion de l’application du droit. Et cette préservation d’immixtion est l’essence de l’indépendance judiciaire : un juge doit baser sa décision sur sa propre libre appréciation.

Lorsque le pouvoir législatif ou le pouvoir exécutif estiment que les juges n’appliquent pas les règles qu’ils ont promulguées conformément à leurs intentions, ils n’ont d’autre possibilité que de modifier ces règles afin d’éviter de tels malentendus – bien qu’exclusivement pour l’avenir, hormis le référé législatif abrogé au XIXème siècle et le cas exceptionnel d’une interprétation authentique de la loi.

Les décisions judiciaires ne peuvent pas non plus être annulées par les autres pouvoirs, hormis le cas limité de l’octroi de la grâce qui n’est pas une négation d’une sentence judiciaire mais une mesure de faveur quant à l’exécution d’une peine.

Le juge doit non seulement être indépendant des autres pouvoirs, mais aussi des partis, des personnes extérieures, des groupes de pression, etc. Bref, il doit être libre de toute pression externe. Il doit également être indépendant de ses propres convictions philosophiques ou autres convictions et préjugés, ce que symbolise la toge. Une autre application peut être trouvée dans une possible limitation du droit de la libre expression, en vertu de l’article 10.2 de la CEDH, in fine, « pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire». On vise par cela la nécessaire retenue que l’on attend de la presse et d’autres "faiseurs d’opinion" lorsqu’ils évoquent des affaires pendantes, et exercent ainsi (généralement non sciemment) une pression sur le juge pour qu’il statue dans un sens déterminé, ce qui, dans les systèmes juridiques anglo-saxons, est souvent sanctionné au titre de “contempt of court”. Pour la même raison, la parution de plus en plus fréquente de doctrine sur de la jurisprudence qui fait encore l’objet de voies de recours, donc sur des questions de droit qui se trouvent encore ‘sub iudice’, est une évolution regrettable.

Il est remarquable que ni l’indépendance du juge, ni son impartialité, toutes fondamentales qu’elles soient, ne figuraient initialement dans la Constitution de 1831. En effet, l’indépendance du juge, tout comme son impartialité, allaient tellement de soi qu’on n’avait pas estimé utile de l’indiquer en tant que tel dans la Constitution (formelle).

Toutefois, en 1998, dans la cadre des accords appelés « Octopus », l’indépendance du pouvoir judiciaire fut ancrée dans la Constitution, plus précisément à l’article 151. En effet, désormais, elle précise non seulement que les juges sont indépendants mais aussi qu’ils « sont indépendants dans l'exercice de leurs compétences juridictionnelles », tandis qu’elle dit que « le ministère public est indépendant dans l'exercice des recherches et poursuites individuelles, sans préjudice du droit du Ministre compétent d'ordonner des poursuites et d'arrêter des directives contraignantes de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite. »

A la réflexion, il apparaît que le législateur constitutionnel a dès lors tranché une controverse fondamentale quant à la portée de l’indépendance judiciaire, et a ramené celle-ci, sciemment ou non, à son aspect fonctionnel.

A l’opposé de cette conception, on trouvait en effet la conception organique, défendue par le Premier Président et le Procureur général de l’époque, Monsieur Marchal et Madame Liekendael, qui était que l'indépendance institutionnelle des cours et tribunaux est la position indépendante du pouvoir judiciaire dans son ensemble à l'égard des autres pouvoirs de l'Etat. Le législateur constitutionnel n’en voulait plus, recourant d’ailleurs habilement à un passage de la mercuriale du 2 septembre 1996 du Procureur général de l’époque, Monsieur Velu : « Les contrôles susceptibles d'être exercés par les pouvoirs politiques sur l'action du pouvoir judiciaire sont ainsi limités par une triple interdiction : - celle de censurer les décisions des juridictions; - celle d'adresser à celles-ci des injonctions; - et celle de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence. »

Bref, les juges seraient indépendants … dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, et non en dehors de cela.

Comme déjà précisé, le pouvoir exécutif remplit un rôle central et coordinateur en ce qui concerne toutes les fonctions publiques. A l’égard du pouvoir judiciaire, cela signifie en premier lieu que les magistrats sont recrutés par le pouvoir exécutif.

Ceci a également changé de manière spectaculaire dans le cadre des accords Octopus de 1998, principalement sur le plan de la réduction de l’ancien pouvoir discrétionnaire de nomination, qui est devenu un pouvoir quasi lié (l’acceptation ou le refus des présentations du Conseil supérieur). Mais l’essence, à savoir que les juges sont nommés par le Roi, est demeurée intacte.

Il existe également un remarquable paradoxe en ce qui concerne la gestion, à savoir que le troisième pouvoir de l’Etat, indépendant de longue date, a toujours été dépendant du pouvoir exécutif pour ses moyens de fonctionnement matériels et humains, ce dernier devant cependant en rendre compte au pouvoir législatif.

On a tenté d’y remédier au cours de la précédente législature, avec l’introduction de davantage d’autonomie de gestion pour l’ordre judiciaire par la loi du 18 février 2014 relative à l’introduction d’une gestion autonome pour l’organisation judiciaire.

Et voilà un des grands défis de la législature actuelle dont je ne dis pas plus pour l’instant parce que c’est un sujet en soi.

Le corollaire indispensable de toute souveraineté est le contrôle, à tout le moins l’autocontrôle, et cela vaut pour tout pouvoir, évidemment selon des formules variables en fonction de la nature de ce pouvoir.

La déontologie et la discipline sont des formes d’autocontrôle, de self regulation, qui forment le contrepoids évident de l’indépendance. L’indépendance, ça se mérite. La déontologie est aussi la condition de l’indépendance, qui, elle, s’acquiert jour après jour, et n’est jamais définitivement acquise.

Les éléments clés d’une telle déontologie sont la loyauté vis-à-vis les parties, p.e. dans la motivation, l’objectivité, p.e. l’impartialité totale dans l’appréciation de la preuve, ou la neutralité politique absolue dans l’appréciation des faits, des règles et des valeurs en cause; et évidemment la discrétion: quand la presse et les tiers doivent se retenir,voyez la référence faite ci-dessus à l’article 10.2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, le même devoir vaut davantage pour le juge.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a dit ceci sur le sujet:

« La Cour souligne avant tout que la plus grande discrétion s'impose aux autorités judiciaires lorsqu'elles sont appelées à juger, afin de garantir leur image de juges impartiaux. Cette discrétion doit les amener à ne pas utiliser la presse, même pour répondre à des provocations. »

Dans sa mercuriale de 1988, le procureur-général Krings disait:

« La réserve ne signifie, dès lors, aucunement l’obligation au silence, inconditionnel et total. Elle ne doit pas dégénérer en isolement qui est sa caricature desséchante, comme l’a dit excellemment M. le procureur général Ganshof van der Meersch. Elle nécessite seulement beaucoup de discernement, de pondération, une appréciation, objective des circonstances, des faits, des opportunités. »

Je suis allé piocher chez De Riemaecker et Londers qui écrivent ce qui suit: « La discrétion exige aussi que, lorsque […] l’opinion [du magistrat] est demandée sur l’un ou l’autre problème, le magistrat, lorsqu’il estime devoir réagir, doit faire preuve de réserve dans sa réponse et rechercher la plus grande prudence dans la formulation. »

Paradoxalement, le pouvoir souverain contrôlé ou autocontrôlé est davantage souverain. Il n’a pas besoin de son caractère absolu pour briller, au contraire, il se distingue de par sa volonté de ne faire aucune erreur qui puisse faire l’objet d’une annulation ou d’une réprimande. Le législateur est soumis au contrôle de la Cour Constitutionnelle, le pouvoir exécutif est contrôlé, dans un certain sens, par de nombreusesinstances: le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes, le Conseil supérieur de la Justice, les Comités I et P, le Conseil de Surveillance Pénitentaire,et j’en oublie beaucoup au niveau européen et international.

Permettez-moi donc d’indiquer deux mécanismes d’autocontrôle du

pouvoir judiciaire que j’aimerais mettre sur l’agenda.

D’abord la loi sur l’évaluation permanente des magistrats et des chefs

de corps qui, comme vous ne l’ignorez pas, a été partiellement annulée

par la Cour Constitutionnelle. Ensuite la révision en matière pénale,

question qui vient de faire l’objet d’un avis circonstancié du Conseil

Supérieur de la Justice qui s’est largement inspiré du modèle

néerlandais.

La crédibilité de ces deux mécanismes ne pourrait à mon

avis que rendre hommage à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et la

consacrer.

Je le sais, l’Etat de Droit dans lequel nous vivons est extrêmement sophistiqué, beaucoup plus qu’en 1831. Mais il est aussi très équilibré. L’inspiration est toujours la même: « Entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit » (Lacordaire). Je vous remercie.

Koen Geens (27/10/2016; Intronisation du Président J-P Buyle, OBFG)

Het gesproken woord geldt”Pagina 1