Il faut réformer la fiscalité

op 21 september 2013 02:00 Entretien La Libre Belgique

Pour Koen Geens, le ministre des Finances, les taux d'imposition (IPP et Isoc) sont trop élevés et les exemptions sont trop nombreuses.
Il prépare une réforme… pour son successeur.


Entretien Francis Van de Woestyne et Mathieu Colleyn

Koen Geens, vous êtes ministre fédéral des Finances. Comment avez-vous, finalement, bouclé l'ajustement du budget 2013 ?
Les 206 millions annoncés par le Comité de monitoring correspondaient à une surestimation des dépenses. Nous avons donc pu nous limiter à des corrections techniques. Un exemple : le dividende de Royal Park Investments (75 millions) doit bien être considéré comme une recette courante et non comme un revenu du capital.

Pour le budget 2014, l'effort à fournir est réduit mais il faudra des moyens pour la relance. Combien ?
L'effort à fournir sera moins important que prévu. Pour ce qui concerne la relance, je crois qu'il faut faire quelque chose de significatif mais je préfère ne pas avancer de chiffres.

Mais il y a déjà des pistes, venues des Régions…
Les suggestions formulées par les Régions sont intéressantes. La question est "Quel type de réduction de charges veut-on ?" Il y a plusieurs écoles. Ma préoccupation prioritaire est qu'à l'étranger, ceux qui ne voient que les chiffres faciaux et les pourcentages, puissent se rendre compte que nous faisons un effort sérieux. Or, nous avons un problème : nous avons des taux d'imposition et de charges sociales qui sont relativement hauts, mais nous avons aussi toutes sortes d'exemptions et de réductions (fédérales, régionales, d'ordre fiscal, social, etc.). De sorte que quand on fait une étude sur le coût salarial par rapport à l'étranger, l'écart salarial est de 0,5 à 4,6: 0,5 % c'est le calcul de la gauche, 4,6 % c'est le calcul de droite. Les deux sont justifiables.
Mais aux USA ou en Chine, quand une société hésite entre Genève ou Bruxelles pour installer son siège, il est difficile de lui expliquer tout cela. Les investisseurs ont besoin de chiffres clairs. Vouloir s'établir dans la capitale de l'Europe, c'est facile à défendre à New York ou à Tokyo mais pour cela, il faut des chiffres transparents en termes de fiscalité et de cotisations.

Votre volonté est-elle d'agir sur les cotisations, sur l'impôt des sociétés ?
Il y a des propositions qui vont dans un sens comme dans l'autre. Déjà en 2008, nous avons exempté les employeurs de verser un pour cent de précompte professionnel au ministère des Finances. Personne ne le sait. Or cela coûte un milliard et c'est, en fait, une réduction de charge sociale. C'est la même chose pour toutes sortes de réductions ciblées du précompte professionnel. Cela coûte très cher mais pour certains, c'est une goutte dans l'océan. Si on réduit les charges sociales d'un milliard pour toutes les entreprises, ça n'aura pas d'effet.

Quelle est votre école ?
Je pense qu'il faut aller dans un sens général. Idem pour l'impôt des sociétés, il y a trop d'exemptions, de réductions, de déductions.

Quel serait le taux idéal de l'Isoc ?
Si je dis 20 %, certains trouveront cela encore énorme car ils paient déjà beaucoup moins. Changer, cela veut dire que certains paieront plus et d'autres moins. C'est la même chose avec les charges sociales. Il faut donc modifier fondamentalement, mais en respectant la transition.

Y aura-t-il une réforme fiscale avant les élections ?
Je prépare au maximum le terrain : je travaille sur un grand projet de réforme. En attendant, je travaille à une simplification de la fiscalité par des mesures concrètes : réductions de charges administratives, en TVA par exemple. Je rappelle que nous avons déjà déterminé des baisses de charges en 2014 et 2015, pour 400 millions et 750 millions. On verra si on peut aller vers des montants plus importants.

Les intérêts notionnels sont souvent dans le viseur…
Il ne faut pas y toucher maintenant parce qu'on ne peut pas changer de tactique toutes les semaines. L'impôt des sociétés et les charges sociales sont un plaisir pour les fiscalistes et les hommes politiques qui veulent donner ceci, donner cela. Mais la transparence par rapport à l'étranger n'est pas assez grande.

On doit sortir de la procédure de déficit excessif. La Belgique s'est engagée à faire passer la dette sous la barre des 100 % du PIB. On va donc vendre des actifs : les parts de l'Etat dans BNP Paribas, Belgacom ou Bpost ?
Il y a deux choses à distinguer. Il y a d'une part notre déficit budgétaire. Il est crucial que nous descendions en dessous des 3%. C'est le  premier objectif car de la sorte, nous aurons davantage de crédit des marchés et de l'Union européenne et cela nous écartera d'une procédure d'amende au début 2014. L'autre objectif, c'est la réduction de la dette sous les 100 % du PIB. Les ventes d'actifs doivent se faire au moment idéal, nous suivons les actifs vendables de l'Etat de très près, nous ferons ce qu'il faut faire.

A quelle hauteur se situe la dette ?
L'estimation est de 100,5 % au 31 décembre. Or 0,1 % du PIB équivaut à 380 millions. Faites le calcul : pour repasser sous les 100 %, il faut donc dégager presque 2 milliards.

Faut-il passer à 99,9 % ou aller un peu plus loin ?
Je serais très heureux d'arriver à 99,9.

Ou en est la réforme bancaire ? Y aura-t-il cette séparation entre banque d'affaires et banque de dépôt ?
Nous envisageons une nouvelle loi bancaire. Qui intégrera une série de dispositions européennes ainsi qu'une réforme structurelle de banques. L'idée est du "ring fencing" : créer au sein d'un même groupe bancaire une filiale séparée pour les operations à risque, de sorte que l'épargne des gens ne soit pas trop exposée au risque. L'Allemagne, la France et le Royaume-Uni sont en train de légiférer à ce sujet.

La DLU connaît un succès énorme… ?
Je crois que le stock de montants déclaré est d'environ 2,8 milliards.

Soit environ un tiers pour les caisses de l'Etat ?
Les taux varient. Je préfère ne pas procéder à des estimations.

Est-ce un signe d'une confiance restaurée ou est-ce la peur du gendarme ?
La mentalité fiscale évolue dans le bon sens. La fraude n'est plus un sport national… Au niveau éthique, on a changé d'opinion. Je pense que les gens se rendent compte qu'en fraudant, on rend plus difficiles les tâches des gouvernements qui doivent trouver les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses et les besoins des gens. L'échange automatique des données – sous l'influence des Etats-unis qui ont forcé la Suisse à s'ouvrir – est une très bonne chose.

La N-VA répète que les garanties de l'Etat sur Dexia représentent une bombe à retardement…
A l'époque, les dirigeants ont choisi la bonne voie pour sortir Dexia de ce problème. Je ne crois pas qu'il y avait d'autres alternatives. On ignorait en 2008 que le problème de Dexia était nettement plus grave que celui de Fortis. Je ne dis pas que tout va bien. Mais les risques sont sous contrôle. J'ai une grande confiance dans les gestionnaires actuels de Dexia. Quand je lis le document du FMI, classant les Etats en fonction des aides apportées à leur banques, la Belgique se situe assez bien. Notre pourcentage est meilleur que celui de l'Allemagne.

Le salaire des CEO de Dexia et de Belfius, banques dont l'Etat est propriétaire, n'a pas été limité à 290000 euros. De plus, vous défendez l'octroi de bonus. Pourquoi ?
Il y a le passé. Il y a l'avenir. Pour Belgacom et Bpost, nous sommes confrontés aux engagements qui ont été pris. La définition d'une entreprise publique autonome est celle qui se trouve dans la loi de 1991. Dexia et Belfius ne sont pas concernées. Mais bon, cela n'est pas une excuse.

Il y a la lettre et l'esprit…
La mentalité a, à juste titre, fort changé. Et j'en suis très heureux. Les salaires des banquiers et des autres CEO sont soumis à un controle accru. Là aussi, il y a une nouvelle dimension éthique. La question est de savoir si la rémunération variable augmente, ou non, l'efficacité. Je n'en suis pas sûr. Je ne crois pas à la compétition interne. J'en ai même peur. Dans le cabinet d'avocats où j'étais, cela n'existait pas. Etre stimulé par l'argent, ce n'est pas nécessairement la meilleure chose. Je dis toujours aux jeunes de choisir l'entrepreneur qui vous paie le moins. Reste qu'on se compare toujours avec ses pairs. Si on veut avoir un très bon banquier pour une entreprise en difficultés, il faut pouvoir le rémunérer correctement. Il est normal qu'il compare son salaire avec celui d'autres banquiers. Et nous avons pour l'instant des difficultés à recruter des gens au plus haut niveau dans les banques en difficulté. Ces personnes ont des responsabilités énormes, mais il est difficile de croire que, par exemple monsieur De Boeck (Dexia), à son âge, fait cela pour l'argent… même si ce qu'il fait est important pour le pays.

En tant que ministre des Finances, vous gagnez 6 fois ou dix fois moins que M. De Boeck…
Est-ce vrai… ?

Je peux vous le dire, le salaire des ministres est connu…
Vous savez, il y a trois choses, dans la vie, qui constituent la rémunération des gens : le prestige, l'argent et le pouvoir. C'est un mix. Les hommes politiques, en général, ne font pas ce métier pour l'argent. Si ça les passionne, ils ont choisi le mauvais métier.

Quand sera lancé l'emprunt populaire ?
J'espère que ce sera pour le 1er novembre. Le taux dépendra des conditions du marché.

La majorité dit  "cela va mieux". La N-VA rétorque "cela n'a jamais été aussi mal". La bataille électorale sera surtout une guerre de communication. Le Premier ministre a demandé aux partis flamands de faire un effort de pédagogie…
Je ne fais que cela ! Dans notre monde actuel, les choses sont plus compliquées que jamais. Mais voyez, en termes socio-économiques, ce qui a été fait au Nord et au Sud de la Belgique. Notre pays affiche un bulletin bien meilleur que la France ou les Pays-Bas au niveau du déficit. Notre situation en termes d'emplois est également meilleure. Et notre "spirit" national, l'est aussi.

Quel optimisme…
Nous, Belges, sommes des sceptiques. Nous ne sommes pas trop fiers de nous-mêmes. Mais j'observe que la confiance est, chez nous, meilleure que dans ces deux pays. Grâce à notre structure institutionnelle, nous avons réussi à avoir des équilibres, ou presque, à tous les niveaux, au fédéral, dans les entités fédérées. Aujourd'hui, chacun est fier de faire de son mieux chez soi.

Le message n'est pas très audible face au rouleau compresseur de la N-VA…
Le message commence à passer. Mais il n'est pas simple. Il y a eu la crise bancaire, la crise souveraine… Comment voulez-vous que les gens applaudissent ceux qui gouvernent. Churchill n'a pas gagné les élections en 1945 ! Va-t-on nous remercier pour ce que nous avons fait depuis 2008 ? J'ajoute que nous avons réalisé une formidable réforme de l'État. À ce niveau, nous avons fait ce que nous avons promis.

Un pas de nain de jardin, dit la N-VA…
Mais c'est une révolution copernicienne. À l'avenir, le budget de l'État compressible sera de 20 milliards. Celui de la Flandre sera de 40 milliards. Si cela n'est pas copernicien. Le reste, c'est "notre" sécurité sociale. Et malgré cela, la situation budgétaire et socio-économique est bonne. Les gens disent : ces gouvernements, ces parlements, ces ministres, cela coûte… Pas énormément. Et cela fonctionne, à notre façon, "à la Belge".

Il y a urgence. Peut-on inverser la tendance en 8 mois ?
Huit mois… Aux Pays-Bas, Diederick Samson a gagné dix pour-cent dans les derniers mois. Il faut expliquer que les gouvernements ont fait un bon travail et qu'il faut approfondir ce qui a été fait. Les partis qui ont gouverné, dans les circonstances difficiles, ont pris leurs responsabilités. Peu importe la coalition.

Les mêmes partis, le même Premier ministre ?
Je ne me prononce pas. Le gouvernement et en particulier le Premier ministre ont fait un bon travail. Mais il faut attendre le résultat électoral.

Les démocrates chrétiens flamands, qui ont occupé le poste de Premier ministre pendant de très nombreuses années, ne semblent plus vouloir du "16"… Curieux, non ?
On attache trop d'importance à cela. Permettez-moi de faire trois réflexions. 1. Quand une femme est enceinte pour le mois de mai, elle ne cherche pas à savoir le sexe de son enfant au début de sa grossesse. Ce qui l'intéresse, c'est sa santé et l'avenir qu'elle donnera à son enfant. 2. L'évolution copernicienne est là. Nous avons un ministre-président flamand, Kris Peeters, qui a fait un travail remarquable. Ce serait idiot de dire que nous n'avons pas l'ambition de poursuivre notre rôle au sein du gouvernement flamand. Nous sommes dans un pays où le Premier ministre, aussi important soit-il, est avant tout un coordinateur des Régions et des Communautés. 3. Le CD&V est à 17 %. Et même si c'est dans notre nature, nous ne sommes pas dans la position de nourrir l'ambition de livrer le prochain Premier ministre. Ne doutez pas de notre sens des responsabilités. Mais nous avons beaucoup donné. Dans le passé, nous avons donné beaucoup d'hommes et de femmes politiques très talentueux. Mais quand on est à 17%, nous croyons que ce n'est pas à nous de dire "voilà, chers concurrents, commencez à tirer !".

Et vous, dans tout cela, votre carapace est intacte…  ?
Je suis un ministre des Finances très heureux.

Êtes-vous gagné par le virus ? Serez-vous candidat en 2014 ?
On ne sait pas faire de pareilles choses sans une certaine passion. J'écouterai la question que me posera le président de mon parti. Il choisira les têtes de listes pour le 12 novembre.