Il faut faire participer davantage aux frais de justice

op 22 november 2014 15:19 Le Soir

Il faut faire participer davantage aux frais de justice (p.1)

Koen Geens veut un accès rapide et efficace à la justice pour tous les citoyens, « en particulier les plus faibles de notre société », mais en limitant par ailleurs la surconsommation judiciaire...

Un grand écart sémantique et idéologique.

Diminuer les frais de procédure à charge du justiciable dans un contexte de crise semble effectivement relever de la douce utopie. Comment compte-t-il dès lors s'y prendre pour garantir une justice pour tous et non «une justice de riches» comme le craint déjà l'opposition?

Une assurance face aux actions en justice (p. 2 & 3)

Pour garantir la continuité de l'accès à la justice aux moyens revenus, Koen Geens (CD&V) veut inciter les justiciables à se tourner vers les compagnies d'assurances.

Il s'apprête à négocier avec elles de nouveaux contrats couvrant notamment les contentieux

familiaux tels que le divorce.

Koen Geens veut un accès rapide et efficace à la justice pour tous les citoyens, « en particulier les plus faibles de notre société », mais en limitant par ailleurs la surconsommation judiciaire. Autant dire que le ministre de la Justice CD&V s'apprête à réaliser un périlleux numéro d'équilibriste! D'autant qu'il hérite d'un secteur aussi vaste que complexe, appelé à fonctionner avec un budget annuel raboté de 150 millions (ramené à 1,7 milliard donc) alors que les comptes sont déjà dans le rouge. Sans parler des piles de factures en attente d'être réglées et de la crispation provoquée par le manque de personnel de justice dans certains arrondissements.

Diminuer les frais de procédure à charge du justiciable dans un tel contexte semblait effectivement relever de la douce utopie. Comment compte-t-il dès lors s'y prendre pour garantir une justice pour tous et non «une justice de riches» comme le craint déjà l'opposition?

« Pour qu'elle reste accessible à tous, il me semble évident que les riches ou les personnes morales doivent participer davantage aux frais de justice. Aujourd'hui, par exemple, les droits de greffe (NDLR: l'accord de gouvernement prévoit leur augmentation) ne tiennent pas compte de la réalité sociale de celui qui introduit l'action. Au contraire, devant les tribunaux de travail, celui qui cherche à se faire payer son parachute doré après un licenciement ne verse actuellement aucun droit, vu qu'on ne les applique pas dans les tribunaux de travail .»

« Par ailleurs , poursuit le ministre de la Justice à propos des moyens mis en œuvre, des méthodes d'autofinancement sont prévues pour couvrir une certaine partie des frais engendrés par le fonctionnement de la justice. Enfin, ceux dont les moyens sont réellement insuffisants bénéficieront d'un ticket modérateur dont la nomenclature sera fixée par l'avocat. »

Sa crainte ne concerne donc pas les bas revenus mais bien la classe moyenne qui, déplore-t-il, « a peur de la justice ».

« À la différence des soins de santé, aucune assurance ne couvre les ennuis judiciaires. Sauf pour les accidents de voiture. Pourtant les divorces et les problèmes familiaux, on ne les cherche pas spécialement non plus. Ça peut arriver à tout le monde. Or, en cas de divorce, le revenu du ménage est déjà divisé par deux. »

Et d'ajouter: « Alors si chacun doit payer des frais de justice, forcément ça devient très cher …»

L'avocat en droit financier annonce donc un projet qui pourrait en surprendre plus d'un: il veut inciter les justiciables qui n'ont pas accès à l'aide de deuxième ligne à se tourner vers les compagnies d'assurances pour assurer leur propre protection juridique.

« J'ai rendez-vous prochainement avec Assuralia à ce sujet. Je veux savoir si les compagnies d'assurances ne pourraient pas envisager des contrats prévoyant une protection plus large en matière de frais de justice. Le principe est déjà largement répandu en Allemagne et ça marche très bien », assure-t-il. S'il cite pour exemple le divorce, Koen Geens n'exclut pas une application à d'autres contentieux.

Reste que sa proposition pourrait sembler en contradiction avec deux autres mesures annoncées – le contrôle plus strict de l'utilisation des avocats pro deo et la fin de la présomption irréfragable de l'état de besoin – et visant justement à réduire la surconsommation de la justice.

« Certains s'imaginent que l'on va aller en justice pour tout et n'importe quoi sous prétexte que c'est l'assurance qui paye les frais. Mais établir une telle relation de cause à effet est une erreur. J'ai une assurance incendie et je n'ai jamais eu d'incendie, j'ai une assurance vie, je suis toujours en vie! »

LUDIVINE PONCIAU

MARTINE DUBUISSON

Il y a une grande continuité entre les gouvernements Di Rupo et Michel (p. 2)

Koen Geens (CD&V) porte un regard très différent de la N-VA sur la coalition suédoise.

Comment jugez-vous les débuts du gouvernement?

Cela a été un début enthousiaste, mais au niveau social, on est confronté à un climat difficile. On s'y attendait, puisque dès août la composition de la coalition a frustré les syndicats. Mais il est important d'avancer dans le dialogue social. J'espère que Kris Peeters aura de petits succès avant Noël déjà. Notre programme est ambitieux, mais nécessaire.

Comment se sent le CD&V, le plus à gauche, dans cette coalition?

Le CD&V se sent bien dans la mesure où nous trouvons que la partition n'a pas été fortement modifiée par rapport au gouvernement Di Rupo: nous avions alors assaini à hauteur de 22 milliards, déjà fait des réformes en matière de pensions, amélioré la compétitivité,… Nous voyons donc une grande continuité. Il y a des accents un peu plus à droite, mais dire qu'il y a un monde de différence est exagéré. Tout gouvernement, en 2014, aurait dû faire des efforts pour des montants semblables. Le ton diffère mais le contenu, la mélodie est la même. Donc, nous nous sentons bien car nous faisons ce qui est nécessaire pour la durabilité de notre système socio-économique, en prônant la croissance et le progrès social, mais les marges de manœuvre sont réduites.

Continuité; ce n'est pas le discours de la N-VA qui insiste sur le changement, sans le PS…

Ni la N-VA ni le PS n'aiment ce message de continuité. Cette polarisation entre eux n'est d'ailleurs pas confortable pour un parti du centre comme le nôtre. Quand la N-VA polarise, le PS devient riche, et inversement, tandis que ceux qui travaillent pour trouver le juste milieu n'en sont pas récompensés.

Comme l'a dit M. Michel, si M. Di Rupo dit qu'on exécute à 70% ce qui a été décidé par lui, pourquoi est-il si mécontent?

On sent tout de même un malaise au CD&V, notamment par rapport au déséquilibre entre la taxation sur les revenus du travail et les revenus du capital?

Il est normal que la démocratie chrétienne, qui s'intéresse à toutes les classes de la société, soit très sensible et à l'écoute de ce que pensent les entrepreneurs chrétiens et les syndicats chrétiens. Si les socialistes étaient à la table, nous serions moins vulnérables du côté syndical, c'est évident. Est-ce pour autant que nous ne sommes pas à l'aise dans ce gouvernement? Non, car nous pensons avoir les réponses dans l'accord gouvernemental et dans notre programme. Prenez les coûts salariaux, les pensions: il fallait faire quelque chose pour garantir la durabilité de notre modèle rhénan; nous l'avions déjà fait sous l'ancien gouvernement avec le pacte de compétitivité.

Donc, vous allez continuer à vous battre pour le tax shift?

Je ne veux pas mettre de l'huile sur le feu, mais tout le monde dit que le coût salarial est trop élevé, toutes les grandes organisations, comme le FMI ou l'OCDE, que l'on ne peut taxer de socialistes, le disent: nous devons faire un tax shift. Je n'ai cessé de le dire depuis que je suis devenu ministre des Finances. Un tax shift ne concerne d'ailleurs pas que les revenus du patrimoine, mais aussi la consommation, l'éco-fiscalité,… Mais lors des négociations gouvernementales, le climat n'était pas mûr pour le faire; on l'a donc inscrit comme une possibilité dans l'accord et le Premier ministre nous dit d'en discuter au sein du gouvernement, au moment opportun. Patiemment, nous attendons ce moment.

Comment pourriez-vous expliquer aux francophones que le CD&V a préféré s'allier à la N-VA plutôt que de prolonger la tripartite?

Deux éléments ont eu une importance capitale. Un: on ne s'attendait pas à ce que, du côté francophone, PS et CDH se mettent ensemble aussi vite. Notre surprise a été totale. Ce qui a provoqué une deuxième chose: l'opinion flamande avait choisi, à 33% la N-VA (qui venait de 13%); démocratiquement, cela avait un sens qu'elle prenne ses responsabilités dans un climat économique difficile, plutôt que de toujours dire nous ferions mieux et vous faites mal, ce qui nous handicape électoralement. Mais nous n'avons débuté les négociations avec la N-VA qu'après l'accord PS-CDH. Jusque-là, on avait temporisé.

L'autre version dit que le PS a convolé avec le CDH après que le CD&V a opté pour la N-VA…

Bien sûr, il pouvait penser que nous ne pourrions faire autrement que de tester les pistes avec la N-VA. Comme tout le monde a trouvé normal que Bart De Wever soit nommé informateur. A partir de là, tout devient compliqué. Mais personne ne pouvait prévoir ce que deviendraient les relations entre les présidents francophones. Nous aurions préféré qu'il en aille autrement, que le CDH nous rejoigne, nous avons tout fait pour cela.

MARTINE DUBUISSON

LUDIVINE PONCIAU