Interview

op 22 november 2014 10:00 L'ECHO
Le ministre de la Justice rappelle que son parti veut un "shift" fiscal (p.1)

Martin Buxant

Dans une interview à "L'Echo", le CD&V Koen Geens insiste sur le fait que le débat sur la taxation des revenus du capital n'est pas clos: " Notre parti déposera des propositions en ce sens sur la table du gouvernement le moment venu ", martèle l'ex-ministre des Finances. Le débat agite pour le moment la coalition de quatre partis puisque, à ce stade, N-VA et Open VLD sont opposés à cette fiscalité touchant le capital.
Koen Geens dit comprendre l'agitation sociale et la mauvaise perception du gouvernement - essentiellement côté francophone. " Je vous assure que nous travaillons en étroite collaboration avec le MR et que toutes les mesures que nous prenons sont guidées par l'intérêt général - tant celui des Wallons, des Bruxellois que des Flamands ", dit-il. " Il n'y a pas de communautaire dans cet accord de gouvernement, si nous pensions que cette forme de coalition était un danger pour le pays, nous n'en aurions pas fait partie ". Sur ses propres compétences, Koen Geens insiste sur le fait que les caisses de l'État sont vides: " Il n'y a plus de moyens disponibles, il faut réallouer les moyens existants en fonction des priorités ".
Koen Geens dit vouloir réfléchir à la création et au renforcement d'une brigade financière - avec les autres ministres compétents - pour traquer davantage ces délits qui réclament une expertise importante.
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"Nous déposerons des propositions sur la taxation du capital le moment venu" (p.5)

Tour de chauffe. Le nouveau ministre de la Justice, le CD&V Koen Geens, livre sa première interview avec cette nouvelle casquette.
Vous n'êtes pas trop déçu d'avoir dû abandonner votre beau portefeuille des Finances à un autre parti?
C'est évident que dans la dynamique d'un engagement, après m'être consacré à la loi bancaire, après avoir fait des réformes fiscales, on a envie de prolonger et continuer le mouvement, mais on m'aurait dit il y a trois ans que je serais devenu ministre de la Justice, je ne l'aurais jamais cru, c'était mon job de rêve. À la lumière de l'éternité, ce changement n'est pas grand-chose. Maintenant, dans le meilleur des mondes, je m'imaginais cumuler les deux. Mais on ne peut pas tout avoir dans la vie.
Vous avez poussé avec le CD&V la taxation du capital durant les négociations, sans succès…
C'est exact, avec ces partenaires, il n'y a pas eu la volonté de faire basculer la fiscalité sur le travail vers davantage de fiscalité sur les revenus du capital. On voulait d'abord économiser drastiquement. OK. Et je m'inscris complètement dans cette logique. Mais, il est vrai que notre pays est pressé - y compris par les instances internationales - d'enfin faire ce tax shift. Certaines phrases de l'accord de gouvernement permettent d'étudier la question et je pense que cela va être le cas durant cette législature. Je pense que les choses sont en train de changer, avec Lux Leaks, avec (les plus-values non taxées de, NDLR) Marc Coucke, combinés avec la grogne sociale. Cet été, il n'y avait pas vraiment d'intérêt pour cette question, ça change.
Mais donc, c'est le moment où jamais pour le CD&V de remettre une proposition sur la table du gouvernement…
C'est Kris Peeters qui est notre vice-Premier, et il est clair que lui et le CD&V vont, au moment le plus approprié, déposer sur la table du gouvernement une série de propositions sur la taxation du capital. Il y a l'espace pour discuter au sein du gouvernement. Il doit y avoir un accord de quatre partis, j'attends patiemment que les trois autres partis de la coalition se prononcent.
Pendant les négociations gouvernementales, vous avez joué la carte de l'ACW. Vous vous sentez à votre place dans ce gouvernement de droite quand vous voyez la contestation sociale?
Herman Van Rompuy a un jour dit: "dans un gouvernement de centre-droit, tous les CD&V se sentent ACW". C'est une bonne perception. Compte tenu de mon passé (d'avocat d'affaires, NDLR), les gens attendent de moi que je sois par définition contre la taxation des grandes plus-values sur les grands paquets d'actions, mais ça ne va pas d'essayer de faire rentrer les gens dans des cases de la sorte. C'est vrai que la situation sociale est délicate, mais les décisions que prend ce gouvernement, même si elles ont l'air dures, vont garantir que notre économie puisse garantir le bien-être sur le long terme. Je comprends l'inquiétude mais on devait agir - par exemple, en matière de pensions.
Est-ce que vous comprenez que ce gouvernement est très durement perçu côté francophone?
Le gouvernement précédent n'avait pas de majorité côté flamand, donc nous connaissons très bien ce que vit le MR aujourd'hui, même si de notre côté, c'était dans de moindres proportions. Les mesures sont difficiles à porter quand on est minorisé. Je comprends très bien que le gouvernement actuel a un problème de crédibilité côté francophone.
Et comment pouvez-vous changer cette perception d'un gouvernement mis en place par et pour la Flandre?
Je dis ceci: on vit toujours dans une démocratie fédérale, ce gouvernement est la preuve qu'on vit toujours dans un état fédéral et pas confédéral, autrement il n'y aurait jamais eu de légitimité et même de légalité pour constituer ce gouvernement. C'est une démonstration que la Flandre croit encore en la continuité du pays. Mon message aux francophones et de rappeler que cette coalition n'est pas le résultat d'une volonté délibérée côté flamand: le CD&V a tout mis en œuvre pour que le cdH vienne dans ce gouvernement. J'aurais aimé que ce soit différent! Mais je peux garantir que toutes les mesures que nous allons prendre avec ce gouvernement sont guidées par l'intérêt de tout le pays, elles sont inspirées par l'intérêt commun, nous travaillons étroitement avec le MR, la croissance est une priorité pour les Wallons, les Flamands, les Bruxellois. S'il y avait eu du communautaire dans cet accord, de l'exclusion, le CD&V n'aurait pas pris part à ce gouvernement. Le programme est clair: la croissance économique et le progrès social, c'étaient les conditions auxquelles on était prêts d'y aller.
Vous êtes ministre de la Justice, les caisses de l'État sont vides, comment allez-vous procéder avec les défis auxquels la Justice est confrontée?
Je veux être très clair là-dessus, il n'y a effectivement pas de moyens pour le moment, on va donc devoir être plus efficace, en réallouant des moyens comme on peut. On va travailler sur la réduction de la charge de travail de certains magistrats qui bossent parfois 60h/semaine, on va avancer là-dessus, sur la mobilité interne, les besoins essentiels vont être privilégiés.
Qu'est-ce qui est essentiel?
Je pense, par exemple, qu'il y a beaucoup d'affaires qui ne devraient pas être traitées en cassation. Il y a une surconsommation, alors qu'on pourrait privilégier la résolution en une seule instance ou par la médiation. On oublie parfois qu'il y a un juge de première instance qui devrait être en mesure de résoudre certaines affaires sans devoir reporter la charge vers d'autres juridictions.
Quels seront vos chevaux de bataille durant cette législature?
Les chevaux de bataille sont influencés par les événements extérieurs. La cybercriminalité est un thème d'actualité depuis les récents hackings. C'est le sort de la justice: la législation suit toujours le crime. C'est la même chose pour la Syrie: qui aurait pu penser que des Anversois, Bruxellois, partiraient en masse se battre pour l'État islamique? On est donc obligés d'adapter la législation. La Justice, depuis 1996 et Marc Dutroux, court derrière les événements. Elle avait été oubliée depuis 1945 et en 1996, on a fait une première réforme avec la création du Conseil supérieur. La qualité moyenne des magistrats est meilleure aujourd'hui qu'il y a trente ans. Mais il est temps de reprendre en main les grands codes, il n'est pas possible qu'en 2014, on travaille encore avec des codes de 1804 ou de 1867. Aux Pays-Bas, ils ont déjà fait cet exercice de recréation. On va essayer de faire cela, entre autres, pour le droit de la procédure pénale.
Allez-vous rendre davantage d'enquêteurs disponibles pour vous attaquer à la criminalité financière?
C'est déjà en partie le cas, mais c'est vrai que c'est une criminalité qui demande beaucoup plus d'anticipation, une autre expertise, ce ne serait certainement pas un luxe de se concentrer davantage là-dessus, et ça peut se produire via des déplacements internes. On doit réfléchir à cela, avec les autres ministres compétents.