Rapatriement des djihadistes de Syrie: l'Europe divisée

op 18 februari 2019 18:15 RTBF

La pression est donc revenue ce week-end du côté des Etats-Unis, avec l'appel pressant, formulé dans un tweet samedi soir, du président américain Donald Trump à ce que les pays européens rapatrient et jugent leurs ressortissants faits prisonniers parmi les djihadistes en Syrie et Irak.

Ceci alors que le groupe Etat islamique (EI) est sur le point de perdre le dernier territoire de son "califat" sous les coups de boutoir de l'alliance arabo-kurde et de la coalition internationale menée par les Etats-Unis. Dans la ligne de mire de la Maison Blanche, avant tout la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et d'autres alliés européens - dont la Belgique ! -poussés à venir rapidement reprendre plus de 800 combattants de l'EI capturés sous peine de voir leurs ressortissants relâchés...

Autant de dangers potentiels pour leurs pays d'origine. Sauf que face à cette demande pressante de Washington, les pays européens n'ont toujours pas de réelles réponses coordonnées. L'Union discute, débat, mais ne décide pas. Alors chaque pays y va de sa "recette", de sa théorie en la matière.

Allemagne

Le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas jugeait "extrêmement difficile" d'organiser à ce stade un rapatriement des djihadistes européens. Un retour ne pourrait être possible que si "nous pouvons garantir que ces personnes soient immédiatement envoyées ici devant un tribunal et qu'elles seront mises en détention. Pour cela, nous avons besoin d'informations judiciaires, et cela n'est pas encore le cas". Berlin voulait "se concerter avec la France et la Grande-Bretagne (...) sur la façon de procéder. Par principe, tous les citoyens allemands et ceux qui sont soupçonnés d'avoir combattu dans les rangs du soi-disant État islamique ont le droit de revenir. En Syrie, le gouvernement allemand n'est pas en mesure de garantir les droits et l'accès consulaire aux citoyens allemands emprisonnés en raison du conflit armé". On estime à environ 1050 personne le nombre de personnes qui se sont rendues depuis 2013 en Syrie et en Irak depuis le territoire allemand. Un tiers, environ, est déjà rentré. Une quarantaine de djihadistes d'origine allemande seraient toujours détenus par les milices kurdes en Syrie.

France

Après sa réticence initiale, Paris semble envisager le retour de ses ressortissants. Il serait question selon certaines sources de 680 adultes avec nationalité française et plus de 500 enfants en Syrie et en Irak. Le 31 janvier, la garde des sceaux, Nicole Belloubet, a officialisé le changement de doctrine du gouvernement en matière de retour des djihadistes français détenus en Syrie. Jusqu'ici, la France refusait tout retour sur le sol natal et laissait les Forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde, ou les juges irakiens gérer le problème.

Mais Paris a désormais une " préférence " pour leur rapatriement en France soudain contrainte d'assumer le sort de ses ressortissants, physiquement et juridiquement de crainte qu’ils ne s’évanouissent dans la nature à la faveur du retrait américain de Syrie et ne constituent de nouveau une menace. Perspective qui a conduit certains responsables politiques à souhaiter, sans nuances, leur " assassinat ciblé ". Pour seule réponse, le ministre de l'intérieur, Christophe Castaner, a assuré que, dès leur arrivée, ils iraient en prison.

Et la France, opposée jusqu’ici au retour de ces djihadistes, n’exclut désormais plus leur rapatriement, Un scénario prévoit que des avions américains atterrissent sur la base de Villacoublay près de Paris, où les attendraient les autorités françaises. Un autre scénario envisage un retour à bord de charters français escortés par les forces françaises.

Pays-Bas

Pas encore de décision concernant le sort des combattants eux-mêmes mais le ministère de la Justice examine les possibilités de rapatrier les épouses néerlandaises de djihadistes et leurs enfants. Des contacts ont été pris avec les autorités kurdes sur place. Une trentaine de femmes se trouveraient dans les camps sous surveillance kurde. Au total au moins 175 mineurs avec origine néerlandaise se trouveraient actuellement en Syrie et en Irak. 310 Néerlandais auraient fait le déplacement des Pays-Bas vers Syrie et Irak, 55 seraient déjà rentrés au pays.

Grande-Bretagne

Pas encore de décision formelle sur le sort définitif de leurs djihadistes. Officieusement l'idée serait de les laisser juger sur place, avec les preuves nécessaires pour pouvoir évaluer leur responsabilité sur les lieux de leurs crimes.

Les discussions se sont récemment réenflammées à propos du sort devenu emblématique de Shamima Begum, de nationalité britannique, 19 ans aujourd'hui mais qui avait gagné la Syrie à 15 ans, et vient d'accoucher d'un bébé dans un camp de réfugiés en Syrie. Un bébé avec lequel elle aimerait à présent rentrer au pays.

Elle a fait l'objet d'une querelle entre le ministre de l'Intérieur, promettant de tout faire pour son retour et so homologue de la Justice insistant sur un jugement d'abord. Sur 850 djihadistes venus du Royaume-Uni vers la Syrie ou l'Irak, la moitié seulement est déjà retournée sur le continent européen.

Belgique

Côté belge - 150 djihadistes toujours la zone irako-syrienne et autant d'enfants ou d'adolescents nés au moins d'un parent belge -, le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), a dit souhaiter qu'une solution soit trouvée au niveau européen, appelant à "réfléchir tranquillement et regarder ce qui comporte le moins de risques sécuritaires". Estimant que la question allait se poser " tôt ou tard ", le ministre de la Justice a assuré que le gouvernement était prêt à prendre le problème à bras-le-corps. "Nous allons y réfléchir et voir quelle solution comporte le moins de risque de sécurité", a-t-il déclaré à la VRT.

Le ministre des Affaires étrangères et de la Défense disait, il y a peu, ne pas avoir reçu de demande directe de la part des Etats-Unis mais "cela pourrait venir". Didier Reynders qui rappelait la position adoptée par le gouvernement belge, qui consiste à aider au rapatriement des enfants de combattants (en jargon des "Foreign Terrorist Fighters", FTF) âgés de moins de 10 ans pour peu qu’il y ait une demande de membres de la famille restés en Belgique, en se basant sur le fait qu’ils ne sont responsables d’être nés dans de telles conditions et n’ont pas choisi l’Etat islamique (EI). " Au delà, (pour des adultes), on n’a pas dit non, c’est au cas par cas ", a expliqué M. Reynders.

Deux jugements ont ainsi forcé fin décembre l'Etat belge à procéder au rapatriement de six enfants séjournant dans le camp de réfugiés d’Al-Hol (nord-est de la Syrie), une zone contrôlée par les autorités kurdes, et de deux mères originaires de Borgerhout (Anvers), condamnées à des peines de cinq de prison en Belgique. Mais la ministre de l’Asile et de la Migration, Maggie De Block, a fait appel de la première décision.

De son côté, Charles Michel défendait une "approche parallèle" avec son homologue britannique Theresa May, ce qui était convenu lors d'un entretien téléphonique ce dimanche matin - soit d'abord envisager en jugement dans la région. Charles Michel aura également dans les prochains jours un contact avec son homologue néerlandais Mark Rutte et avec le président français Emmanuel Macron.

Le sujet devait être évoqué ce lundi par les ministres européens des Affaires étrangères qui se rencontraient à Bruxelles pour discuter entre autres de "la situation en Syrie, en particulier les derniers développements intervenus sur le terrain", selon l'ordre du jour de la réunion.

Les discussions qui continuaient sur des thèmes aussi variés que des retraits de nationalité, des centres de transit à proximité de la zone de conflit à partir desquels les Etats européens pourraient analyser la situation des djihadistes "au cas par cas", et déterminer dans quel pays ils doivent être rapatriés et jugés.

Idée aussi de créer une juridiction internationale adhoc pour les procès, voire d'un camp de détention européen comparable à celui de Guantanamo, mais là-dessus non aucune décision n'a encore été prise au niveau européen...