Koen Geens : « Les présidents de partis devront monter dans le gouvernement »

op 30 maart 2024 12:00 Le Soir

Le Soir - « Les présidents de parti devront monter dans le gouvernement » (Koen Geens)

Les conseils de Koen Geens, chrétien-démocrate flamand, ex-vice- Premier, homme d’Etat, missionnaire royal, qui se projette dans l’après-9 juin. La N-VA au fédéral, c’est possible, voire souhaitable. Et il faudra un gouvernement « solide, efficace, loin des disputes de la Vivaldi », pour cela les présidents devront se mouiller, et le Seize ira au plus fort d’entre eux...

David CoppiIl fut missionnaire royal début 2020 pour tenter de dénouer la crise politique, Koen Geens, personnalité chrétienne-démocrate flamande de référence, candidat CD&V poussant la liste européenne, se projette dans l’après-9 juin.

L’on craint un grand marécage politique après le 9 juin, on se trompe?

On est à deux pas d’un bicentenaire, d’un jubilé, et, comparant la Belgique à un vieux couple, je dirais : trouverons-nous la force pour reconstruire le mariage belge ? Comment refinance-t-on la sécu ? Comment réussit-on la transition écologique ? Comment réforme-t-on la fiscalité ? Si nécessaire, comment réalise-t-on une réforme de l’Etat ? Cela demande de la concentration, de la cohésion, du souffle, et le vieux couple doit laisser ses disputes derrière soi. Celles de la Vivaldi, en l’occurrence, et il y en a eu ! Car un vieux couple peut se disputer, mais pas sans cesse devant les enfants, comme on l’a vu ces dernières années. La confiance dans la politique a diminué, la politique elle-même a souffert partout dans le pays.Si l’enthousiasme ne revient pas, si le fédéral ne redonne pas l’élan, alors il faudra se demander ce que l’on veut encore faire ensemble, certainement moins que maintenant, et une réforme de l’Etat s’imposera pour trouver de nouvelles formes institutionnelles où chacun pourra évoluer de façon plus efficiente. Mais nous n’en sommes pas là, j’espère.

Vous croyez que l’on pourra faire l’impasse sur une réforme de l’Etat, un exécutif sans la N-VA?

Si les trois familles politiques traditionnelles, socialiste, libérale, chrétienne-démocrate, rêvent d’une Belgique rénovée et que le résultat électoral permet de composer une majorité, pourquoi ne pas essayer, mais il faut savoir que s’il y a une majorité nationaliste en Flandre, ce sera très difficile.

Cette majorité nationaliste – par hypothèse toujours – donnera lieu à un gouvernement nationaliste avec N-VA et Belang ?

Non, attention, et tout cela par hypothèse en effet, moi je ne dis pas qu’il y aura un gouvernement nationaliste parce qu’il y aura une majorité nationaliste, mais je dis que s’il y a une majorité nationaliste en Flandre, alors la donne change pour le pays, la N-VA se retrouvera devant un choix fondamental, et il est évident que dans un tel scénario, la N-VA attend de pouvoir jouer un rôle important au fédéral… Vous comprenez ? En 2019, elle était prête déjà à prendre sa place dans le scénario belge, ça n’a pas marché.

Un gouvernement qui ne tiendrait pas compte du sentiment dominant en Flandre, on a fait ça en 2020, on a le sentiment que ce n’est plus possible ni recommandé.

Ceux qui, en Flandre, ont peur de la donne nationaliste pure et dure, dont je suis, et surtout de l’extrême droite, dont je suis, voient bien ce qui se passe aux Pays-Bas où les partis traditionnels – pas les socialistes – font des plans pour gouverner avec M. Wilders… Les francophones doivent donc comprendre la donne néerlandophone. Mais aussi que s’il y a une majorité nationaliste, cela ne veut pas nécessairement dire que M. De Wever fera un gouvernement avec le Vlaams Belang. Quant aux partis de la Vivaldi, je dis ceci : si jamais vous voulez une deuxième chance, ne la ratez pas, vous avez le devoir de montrer que la Belgique fonctionne, faites ce que vous croyez devoir faire, mais pas comme vous l’avez fait ces dernières années, ça, non.

Avec la santé des Engagés et les signaux pas négatifs au CD&V, semble réapparaître un possible axe centriste chrétien-démocrate. Un axe structurant ?

C’est peut-être la nouveauté. Si on me demande qui est l’homme politique le plus remarquable dans le monde francophone pour l’instant, je dis Maxime Prévot. Il a réussi à faire quelque chose que personne ne croyait possible, notamment en élargissant sa formation à de nouvelles personnes dans la société civile. Quant à nous, au CD&V, nos jeunes générations sont devenues moins flamandes, moins exigeantes sur une réforme de l’Etat, moins qu’avant en tout cas, donc on pourrait bien trouver un programme commun pour nous hisser ensemble dans un gouvernement.

Un chrétien-démocrate flamand au Seize ?

Comme dit toujours Bart De Wever, le Seize, on en sort avec moins que 16… Non, l’important, c’est que les gens qui forment le gouvernement mettent leur poids dans ce gouvernement. Il faudra que les présidents y montent la prochaine fois. Je crois qu’ils doivent être chefs de groupe au Parlement quand leur parti est dans l’opposition, et vice-Premiers quand il est dans la majorité. Ils doivent prendre leurs responsabilités, c’est trop facile de rester dehors, de se défausser tout le temps sur les autres comme cela a été trop souvent le cas avec la Vivaldi. Quant au Premier, il doit être issu du plus grand parti de la coalition. Ce sont les conditions pour plus de force, plus de cohérence. Ce dont nous avons besoin.

Un mot à propos de Bart de Wever. Il était un point de référence, il ne l’est plus ?

Bon, ce n’est pas à moi de parler pour lui, ou contre lui, je dirais que la N-VA a fait une erreur majeure, c’est Marrakech. Le MR lui avait fait confiance, le monde francophone était en train d’être séduit et convaincu que, quand même, on pouvait s’entendre avec ce grand intellectuel flamand qui parlait bien français, qui connaissait son histoire, et qui avait beaucoup d’humour en plus. Et puis, il y a eu Marrakech, la surenchère, et ça a changé la donne. Cela étant, il a voulu retrouver la confiance en face en 2019, il a tout fait pour tenter de faire aboutir les négociations pour former un gouvernement, je peux vous le dire en tant que témoin et acteur. Mais il a échoué, cela l’a rendu peut-être un peu amer. Et le ton qu’il adopte de temps à autre peut choquer. Sachant, et cela je le constate, que ce ton est devenu un peu le ton commun… Pour résumer, je dirais que tout le monde est en train de crier, et il y participe. En tout état de cause, lui et Paul Magnette savent se parler et s’entendre, j’ai été avec eux durant des heures en 2019 et 2020, ce ne sont pas des caractériels, ce sont des hommes très raisonnables et brillants, ça aussi, il faut le savoir.

En toile de fond, il y a la crise de la démocratie… Les prochaines élections, c’est un peu le dernier appel sous la forme des partis traditionnels, des catégories politiques connues ?

Là, je pense à l’ouvrage titré The last politician de Franklin Foer, à propos de Joe Biden, la façon dont il fait la politique, plutôt ennuyeux, débloquant tous les nœuds avec brio mais sans qu’on le sache, qui ne parle pas trop dans les moments difficiles, tout ça est en train de s’éteindre et, si je peux faire une comparaison, c’est un peu la méthode Elio.Bon, moi, j’y crois toujours, malgré la divergence extrême des opinions, qui rend la politique plus compliquée. Finalement, j’ai trois certitudes en politique : la démocratie, l’Etat de droit, les droits humains. Si je sors de ce cadre, je suis perdu. Quand je vois ce qui se passe aux Etats-Unis, en Russie, évidemment, j’ai peur. Mais je crois aussi que ça reste possible. J’étais en débat récemment avec M. Thomas Dermine, j’ai lu son livre Walen werken wél, je peux dire alors qu’il y a des Flamands qui comprennent et des Wallons qui comprennent, et des Flamands et des Wallons qui se comprennent, ce n’est pas fini.