Projet Geens: le Ministre répond aux critiques

op 09 november 2015 13:25 La Libre Belgique

Chaque société, aussi riche soit-elle, est inévitablement confrontée tôt ou tard à la limitation de ses ressources dont la bonne utilisation dans un domaine particulier n’est jamais possible que moyennant une certaine discipline de l’ensemble des acteurs impliqués, y inclus et avant tous le ministre responsable. En déduire que je réduis la justice à une valeur économique serait mal me connaître.

Il faut réformer

En effet, les défenseurs des Droits de l’Homme trouveront toujours en ma personne un allié fidèle. Le gouvernement vient ainsi d’approuver mon projet de loi visant la mise en vigueur la plus rapide possible d’une législation moderne sur les internés. J’ai par ailleurs mis tout en œuvre pour que les internés incurables soient mieux traités et sortent du cadre pénitentiaire où ils n’ont pas leur place. Mais soyons clair, obtenir un jugement d’une qualité raisonnable dans un délai raisonnable pour un coût raisonnable est aussi un Droit de l’Homme. Pour y parvenir, il faut entre autres réformer les procédures civiles et pénales, tâche ardue et de longue haleine à laquelle je me suis engagé.

C’est pour cette raison d’efficience que nous avons cru pouvoir élargir la mini-instruction à la perquisition et à la perquisition seule, étant entendu que le juge d’instruction devra toujours l’autoriser et aura toujours la faculté de s’emparer de l’enquête s’il l’estime opportun vu le résultat de la perquisition.

Il est par ailleurs vrai que le projet “Pot-pourri II” vise à réguler des abus de procédure pénale et je l’assume : est-ce en effet trop demander au prévenu assigné au pénal qu’il fournisse un motif valable (qui ne doit pas pour autant constituer un cas de force majeure), justifiant son absence pour pouvoir faire opposition contre un jugement rendu par défaut, sachant qu’il dispose en tout état de cause d’un deuxième degré, l’appel ? Est-il excessif de demander que l’appelant précise d’entrée de jeu s’il conteste sa condamnation parce qu’il s’estime innocent ou parce qu’il veut une diminution de peine (alors qu’on est déjà aujourd’hui libre de ne pas faire appel, ou d’en limiter la portée) ?

Ne faut-il pas se réjouir que les conclusions doivent être déposées et communiquées – y compris par le ministère public, contrairement à ce qui est prétendu – dans le calendrier fixé, et non par surprise au dernier moment ?

Assises : stop aux malentendus

Par rapport à la réforme des assises, levons d’emblée certains malentendus :

(a) Les assises seront maintenues pour tous les crimes graves auxquels les juridictions d’instruction ne reconnaîtront pas de circonstances atténuantes;

(b) Le fait que le jury soit assisté par les juges dans le délibéré sur la culpabilité découle de l’exigence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme d’une motivation du verdict.

(c) La juridiction d’instruction pourra dorénavant renvoyer devant le tribunal correctionnel (par la “correctionnalisation”) tous les crimes en raison de circonstances atténuantes; pour les crimes les plus graves, le tribunal correctionnel sera en tout état de cause composé de trois juges (”Pot-pourri I”) qui, en tant que professionnels, sont formés pour résister à toute forme d’intimidation.

(d) Le jugement du tribunal correctionnel pourra toujours faire l’objet d’un appel; l’absence d’appel contre une décision d’assises a obligé la Belgique à émettre une réserve au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui consacre le droit d’appel au pénal.

(e) Que l’extension de la correctionnalisation soit contraire à la Constitution est contredit expressément par le Conseil d’Etat qui la situe dans le contexte d’un mouvement graduel depuis 1838. La procédure de “correctionnalisation” est en effet apparue dès les années 1830, soit peu après la réinstauration de la cour d’assises, réinstauration qui ne s’est pas faite aux Pays-Bas ou au Luxembourg. Au fil du temps, le nombre de crimes qui peuvent être correctionnalisés a graduellement augmenté. La loi du 21 décembre 2009, votée à une très large majorité, a encore étendu cette possibilité à des crimes aussi graves que la tentative d’assassinat et même à un crime punissable de la réclusion à perpétuité (la prise d’otages ayant entraîné la mort).

Adapter à la hausse

Quoique cette loi eût permis en conséquence aux juges correctionnels d’infliger jusqu’à vingt ans d’emprisonnement, ni son but ni son résultat n’ont été d’augmenter les peines effectivement prononcées. C’est précisément dans le prolongement de cette philosophie que s’inscrit le “projet Pot-pourri II”. En effet, il fallait bien, dans la loi du 21 décembre 2009 comme dans le projet “Pot-pourri II”, adapter les peines correctionnelles à la hausse pour les crimes les plus graves qui ne pouvaient jusque-là être correctionnalisés. Les maxima correctionnels seront dès lors portés à 40 ans, à comparer avec la peine criminelle de réclusion à perpétuité. Les minima resteront inchangés. Ce sera aux juges de prononcer les peines dans chaque cas d’espèce, de manière individualisée. De quoi relativiser l’”augmentation des peines” tant décriée.

Faut-il rappeler que le projet vise aussi à assouplir les conditions pour pouvoir assortir d’un sursis une peine d’emprisonnement, et qu’il fait entrer en vigueur les nouvelles peines autonomes de probation et de surveillance électronique, autant d’alternatives à l’emprisonnement lorsqu’il s’agit de faits moins graves, preuve s’il en est que le texte n’est en rien inspiré par une “politique sécuritaire” ?

Je n’ai enfin nullement renoncé aux propositions annoncées dans le “Plan Justice” pour réduire la population carcérale, notamment dans le cadre de la détention préventive. Celles-ci feront l’objet du projet de loi “Pot-pourri IV”. Chacun convient de la nécessité d’améliorer d’urgence le fonctionnement de la Justice. Faire mieux et, si nécessaire quant à certains aspects, avec moins, me paraît un objectif tout à fait valable.

(1) Le texte du projet ainsi que l’avant-projet soumis à l’avis du Conseil d’Etat, cet avis et l’exposé des motifs, sont disponibles sur le site de la Chambre des Représentants : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/1418/54K1418001.pdf

Koen Geens

Ministre fédéral de la Justice.