​Réforme pénale « A l’impossible, nul n’est tenu »

op 20 februari 2018 09:33 Le Soir

Alors que les sujets provoquent de vives controverses, Koen Geens (CD&V) et Philippe Goffin (MR) s’expliquent sur les visites domiciliaires, la réforme de la cour d’assises… A propos de Jan Jambon et ses commentaires visant la défense d’Abdeslam : « Je n’ai pas pour habitude de critiquer un autre ministre », ponctue le ministre de la Justice.

Entretien

Ministre de la Justice et président de la commission Justice (qui se réunit ce mardi à la Chambre) défendent ensemble les réformes en cours, aussi les réformes en panne : on pense aux visites domiciliaires ou à la cour d’assises. Koen Geens (CD&V) et Philippe Goffin (MR) tracent la ligne suédoise dans un domaine où les controverses ont dominé ces derniers temps…

La Justice est en plein dans l’« actu » à bien des égards. Commençons par les visites domiciliaires : le projet de loi est remis en cause, on dénonce ici et là la violation du domicile et de la vie privée…

Koen Geens :

Dans la société actuelle, la Justice est devenue un sujet très important, c’est vrai, peut-être même focalise-t-on un petit peu trop là-dessus… Bon, il n’y a jamais assez de droits en général et de droits de l’homme en particulier, j’en conviens, mais il faut préciser que cela n’est pas en jeu dans le dossier des visites domiciliaires. Je m’explique : en imposant l’intervention du juge d’instruction il y a un an et demi, à l’origine du projet, j’ai précisément protégé la vie privée, on semble l’avoir oublié. Ce n’était pas l’intention du secrétaire d’Etat, Theo Francken, mais moi, j’ai agi comme cela à l’époque, et c’est une bonne chose. J’ajoute, toujours pour ce qui concerne les visites domiciliaires, que l’on parle ici de gens qui ont reçu l’ordre exécutoire donc définitif de quitter le territoire et qui ont eu suffisamment de temps pour le faire, pas de celles et ceux en général qui se trouvent parc Maximilien. On mélange tout. La coïncidence entre les discussions sur le projet de loi et les événements autour du parc Maximilien a fait des dégâts : on a eu l’impression d’une chasse à l’homme, une traque. Or, je l’ai expliqué, ce n’était pas le but de votre serviteur, et vous ne pouvez pas ne pas le savoir.

Cela étant, apportera-t-on des corrections au projet de loi ?

K.G. :

Je ne me prononce pas sur la forme que cela peut prendre, mais je dis que le projet peut certainement être modifié sur plusieurs points, je pense notamment au rôle du juge d’instruction. J’attends patiemment, tout cela est dans les mains du Premier ministre.

En attendant, c’est la levée de boucliers…

K.G. :

Oui, et je comprends, mais j’insiste sur le sens du projet, sur ce que j’ai voulu faire depuis le début… Je résume : si vous avez le choix entre une visite domiciliaire où la police, juste sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, opère sans intervention du juge d’instruction, ce qui était le cas, ou une visite domiciliaire qui nécessite son intervention, comme je l’ai souhaité et prévu dans les textes, vous préférez quoi ? Mais je l’ai dit, le contexte a modifié la perception.

Au MR, Christine Defraigne, entre autres, a pris position contre le projet de loi dans sa forme actuelle.

Philippe Goffin :

Il y a eu des discussions en interne, très ouvertes, par ailleurs de nombreuses auditions ont eu lieu en commission de l’Intérieur, et le Premier ministre a jugé utile de prendre le temps de consulter. Il en est là.

MR toujours : Richard Miller soutient qu’il faut amender le projet de loi…

Ph.G. :

C’est le rôle d’un parlementaire d’avoir toute liberté d’expression sur un texte quel qu’il soit, mais nous verrons, n’anticipons pas.

K.G. :

Je suis tout à fait prêt à prendre en considération tout ce qui a été dit en commission parlementaire lors des auditions, il y a certainement des améliorations à apporter, je l’ai dit, mais il faut essayer de sortir des polémiques et des malentendus, et se rendre compte, je le rappelle, que ce projet visait justement à protéger les droits de l’homme, que c’est sa raison d’être…

Reste qu’un courant d’opinion s’est formé, une lame de fond, il y a une large expression citoyenne, comme on dit…

K.G. :

La perception est plus importante que la réalité. Et, je vous l’ai expliqué, j’ai ma vérité.

Autre sujet brûlant : la séparation des pouvoirs et les déclarations de Jan Jambon à propos de la défense de Salah Abdeslam. Votre avis ?

Ph.G. :

Il y a une sorte de cacophonie et l’invective, les petites phrases, tout ça ne m’intéresse pas beaucoup. Quant au rôle d’un avocat, il est de défendre son client, point. Et si on a le sentiment que la procédure est parfois trop compliquée, il appartient au législateur d’apporter les corrections nécessaires, point là encore. Je n’irai pas plus loin, je ne vais pas m’exprimer sur un procès en cours.

K.G. :

Pour ce qui concerne le rôle de l’avocat, je pense au médecin par analogie, et parfois le reproche d’acharnement thérapeutique… C’est semblable. Un avocat décide librement de la marche à suivre avec son client, voilà toute l’essence du droit de la défense. Quant à la violation de la séparation des pouvoirs, permettez-moi cette petite mise au point : il y a violation lorsqu’on a l’impression que l’on veut influencer l’issue d’un jugement, lorsqu’un pouvoir donne le sentiment de vouloir se mêler de l’exercice d’un autre pouvoir. Est-ce le cas en l’espèce ? Je ne donne pas la réponse. Je n’ai pas pour habitude de critiquer un autre ministre.

Les avocats ont signé une carte blanche récemment, dans l’« Echo » : ils demandent au ministre de l’Intérieur de présenter des excuses.

K.G. :

J’ai bien lu ça, oui, je comprends évidemment leur demande mais, quoi qu’il en soit, je n’ai pas pour habitude de critiquer un autre ministre.

DAVID COPPI MARC METDEPENNINGEN


L’arrêt de la Cour constitutionnelle annulant la correctionnalisation généralisée des crimes soumis à la cour d’assises vous a surpris ?

Koen Geens :

Cette décision ne m’a pas ébranlé. C’était une possibilité. J’avais toujours vu cela comme une phase intermédiaire à la réforme en profondeur des assises. Mais le sort en a décidé autrement. Honnêtement, je crois que le moment de réfléchir à une réforme définitive est vraiment arrivé. Peut-être cette réflexion n’était-elle pas mûre il y a trois ans. M. Goffin m’a suggéré de tenir une discussion en profondeur à la Chambre avec tous les intervenants sur ce sujet.

Philippe Goffin :

Il y a une forme de désinformation et de raccourci. On a laissé passer l’idée à un moment qu’il n’y avait plus de cour d’assises, ce n’était pas vrai. Des cours d’assises se sont encore tenues depuis la réforme. Les esprits ont sans doute évolué pour mener dorénavant un débat le plus large possible. On a entendu l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Il y a dans ce débat aussi un choix de société à faire. Je proposerai aux membres de la commission un débat ouvert sur l’avenir à donner à la Cour d’assises.

Le projet de chambres criminelles avec 4 jurés et 3 juges professionnels, tel qu’annoncé, risque donc d’être remis en cause ?

K.G. :

Il y a plusieurs pistes de réflexion sur la poursuite des crimes graves. Il y a la question du jury et j’entends que les opinions sont divergentes par rapport à cela. Des gens y tiennent, d’autres pas du tout. Moi, j’étais plutôt pour un jury mixte. Quant à la procédure, des questions importantes se posent. Faut-il écouter tous les témoins, tous les experts, comme c’est le cas actuellement avec des jurés qui ne sont pas censés avoir lu le dossier, ou va-t-on être plus sélectifs ? Et le cas échéant, permettre à un jury de prendre connaissance d’un dossier, avec des avocats et des magistrats, avant le début du procès ? Et que fait-on avec l’appel ? Les opinions sont divergentes.

Iriez-vous jusqu’à préconiser une révision de la Constitution prévoyant la suppression de l’article 150 renvoyant les crimes au jury ?

K.G. :

Je crois qu’il faut ouvrir la discussion de la manière la plus franche pour trouver un consensus, ce qui ne sera pas simple pour une réforme discutée depuis bien longtemps. Je suis vraiment ouvert à toute solution qui réponde aux préoccupations d’assurer une procédure plus rapide et – j’y crois personnellement – l’appel des arrêts rendus.

Le projet de chambres criminelles à trois juges et quatre jurés est remis à plat ?

Ph.G. :

On va prendre un rythme sérieux pour tenter de dégager un consensus sur toutes ces questions fondamentales qui touchent à l’organisation de notre société. Il faut le faire sans tabous, avec ouverture et transparence. En commission, le travail est très positif : l’opposition est une opposition appliquée. Les députés apportent des propositions. Outre le fond, les discussions portent sur l’architecture des projets, sur leur cohérence juridique. Et là, l e droit n‘est ni de gauche, ni de droite.

La cour d’assises est porteuse de valeurs symboliques, c’est pour cela que les réactions se font entendre quand on parle de sa suppression…

K.G. :

Ce n’est pas qu’un symbole, c’est aussi dans la Constitution. On est sur un principe fondamental de l’organisation de notre société. Certains projets qui tournent autour de la procédure sont vieux de plus de trente ans, par exemple le Grand Franchimont ou le projet Bekaert. J’aimerais bien réussir mais pas nécessairement à tout prix.

Le projet de modification du statut du juge d’instruction est aussi au cœur de débats…

K.G. :

Une réforme de cet ordre de la procédure pénale demande une entrée en vigueur à long terme. On ne peut pas réformer l’instruction sans réformer la phase du jugement.

Prendre le temps, c’est compatible avec le temps politique ?

Ph. G :

La justice le mérite.

Quitte à dépasser le temps d’une législature ?

Ph.G :

Cette législature a été riche en projets et en réalisations. C’est sans doute pour cela aussi que l’attention se focalise sur la Justice. Une série de projets ont été approuvés et n’ont pas suscité de débats dans l’opinion, même s’ils ont un impact très important, comme la réforme du droit successoral. Ce n’est pas rien, ça touche la vie de tout le monde.

K.G. :

Les experts de procédure pénale veulent retourner devant la commission Justice où ils avaient déjà défendu les grandes lignes de leurs idées en 2016. Dans le passé, ces projets ont toujours connu des blocages. Je m’y heurte une fois de plus, ce n’est pas grave. Je me dis : ouvrons la lumière, voyons ce qui est possible. Et si ça ne va pas, ça ne va pas.

Reconduire la coalition permettrait de faire aboutir cette réforme ?

K.G. :

Si on voit ce qu’on a déjà fait en matière de droit civil, de droit des entreprises et de droit pénal, je me dis : essayons de mener à bien cette réforme de la procédure pénale. Mais à l’impossible, nul n’est tenu .

Ph.G. :

On a un excellent Premier ministre. L’approche du gouvernement en matière de justice est dense et riche. Une législature c’est 5 ans, rendez-vous dans un an et demi pour voir ce qui a été réalisé. On ne pourra pas dire que cela a manqué de transparence au sein de la commission Justice.

D.Ci et M.M.