Nous allons trouver un accord au sujet de l’assurance protection juridique. J’espère même y arriver avant la fin de l’année. ​

op 29 augustus 2018 10:19 La Libre Belgique

Ala veille de la rentrée politique et judiciaire, “La Libre” a rencontré le ministre de la Justice, le CD&V Koen Geens.


Quel bilan tirez-vous du travail entrepris depuis 2014 ?

Nous avons réalisé les choses que nous avions promises, dans les limites des contraintes budgétaires qui étaient les nôtres. Nous avons pu augmenter légèrement le budget de la Justice. Nous avons résorbé une partie de l’arriéré judiciaire des cours et tribunaux, malgré un gel des effectifs.

La législation de base a été modernisée. Nous avons réformé de nombreux Codes ou nous sommes en train de le faire. Il y aura cette semaine un nouveau droit successoral et matrimonial. En novembre, un nouveau droit des entreprises. Bientôt un nouveau droit des sociétés, un nouveau droit pénal, de nouveaux droits des obligations, des biens, de la preuve. Certains disent qu’on en fait trop. Moi, je crois que ces législations méritaient d’être rénovées de façon approfondie.

Quant aux prisons…

Le projet de loi sur le service minimum devrait être voté dans les mois qui viennent. Les cadres des surveillants sont remplis à concurrence de 98 %. La nouvelle législation nous a permis de sortir de nombreux internés de prison…

Vos priorités pour les mois qui viennent ?

Terminer les projets en cours et préparer l’autonomie de gestion du siège des cours et tribunaux. Nous venons de conclure une convention avec le Collège des cours et tribunaux.

Les cadres d’antan ne peuvent plus servir de norme. Il faut d’abord évaluer la charge de travail de chaque juridiction et allouer les moyens en fonction de cette évaluation. Cela dit, les prochains gouvernements devront réinvestir dans la justice.

L’accès de la justice pourrait être amélioré grâce à l’instauration d’une assurance protection juridique grand public. On l’attend toujours.

L’avant-projet est prêt à être traité en conseil des ministres restreint. Je trouve ce texte très important mais il y avait des points sensibles à régler pour les avocats comme pour les compagnies d’assurances. Après trois ans, nous arrivons au but. Nous allons trouver un accord au sujet de la déductibilité fiscale. J’espère même y arriver avant la fin de l’année.

Vous vous êtes lancé dans une réforme des métiers d’avocat, de notaire et d’huissier. Où en est-on ?

J’ai reçu trois excellents rapports et l’avant-projet de loi de réforme de la profession d’avocat est presque terminé. Il sera abordé par le gouvernement dans les semaines à venir. Ensuite viendra le tour des notaires et des huissiers. On peut notamment agir sur la médiation de dettes et sur les tarifs des notaires. On devrait aboutir avant les élections.

Beaucoup critiquent le tribunal de commerce international anglophone (BIBC) que vous comptez créer à Bruxelles et qui sera destiné à régler les différends économiques entre entreprises. Ils parlent de justice de classe.

Ce projet sera traité dès la rentrée par la Commission Justice de la Chambre. Vous savez, les justiciables relevant de la classe moyenne ne sont pas oubliés. Exemples : beaucoup sont concernés par des dossiers relevant du droit familial. Dans cette matière, nos tribunaux fonctionnent bien. Nous avons, par ailleurs, réformé l’aide juridique et même si la Cour constitutionnelle a annulé le ticket modérateur, cette réforme est un progrès pour le justiciable et les avocats pro Deo. Ce que je veux obtenir, c’est une augmentation des plafonds d’accès à l’aide juridique. On doit arriver à 1 500 euros par mois. Nous allons aussi adopter une assurance protection juridique qui va profondément changer les choses question accès à la justice.

Pour en revenir à la BIBC, il s’agit d’une belle opportunité. Bruxelles est la capitale de l’Europe et il n’y avait aucune raison que Genève, Paris ou Amsterdam profitent du Brexit pour créer un tribunal international et que Bruxelles rate le train. La création de cette Cour répond à des besoins, elle coûtera moins cher que l’arbitrage et elle suscite de l’intérêt dans le monde des affaires. C’est dans la même perspective que nous avons innové en matière de droit des sociétés.

Plusieurs projets de réforme ont été annulés, au moins partiellement, par la Cour constitutionnelle. Une gifle ?

Je trouve magnifique, sur le plan démocratique, qu’un pouvoir législatif se soumette au contrôle d’une Cour constitutionnelle. Cela n’existe pas partout. Par ailleurs, il est normal qu’un pouvoir législatif qui avance et prend des initiatives soit de temps à autre sanctionné pour certaines discriminations non validées par la Cour. Si on faisait le pourcentage entre les mesures que j’ai prises ces quatre années et qui sont passées sans problème et celles qui ont été retoquées, on verrait que la part des échecs est infinitésimale.

Koen Geens pourrait vivre sans que le dossier des visites domiciliaires ne soit approuvé, mais il estime que le gouvernement a été mal compris.

“Je suis heurté humainement par l’avortement”

Il semble que le dossier des visites domiciliaires soit définitivement enterré….

Ce projet ne visait qu’à faire le bien. La police pensait qu’elle pouvait entrer sans autorisation d’un juge d’instruction dans un domicile privé pour voir s’il s’y trouvait des migrants illégaux. Mais les dossiers des Soudanais expulsés et du parc Maximilien ont surgi au même moment. Pour le gouvernement, défendre ce dossier dans les médias était devenu impossible. Mais bon, je ne suis pas un fanatique. La police a déjà compris qu’elle ne peut pas entrer seule dans les domiciles privés pour la recherche de migrants illégaux, ça me suffit. C’est tout de même dommage. Je ne suis pas du tout un homme de droite mais, lorsqu’un juge a décidé qu’une personne doit être expulsée car elle n’a plus de permis de séjour, qu’on lui a demandé à plusieurs reprises de quitter le pays, la police doit avoir les moyens, avec l’aide d’un juge d’instruction, de vérifier si cette personne se trouve dans telle ou telle maison.

Avez-vous un problème de conscience alors que des centres de détention pouvant accueillir des enfants ont été rouverts à Steenokkerzeel ?

Depuis toujours, la question de la détention des enfants dans des cas extrêmes et très limités se pose. Un bon ministre de l’Asile et de la Migration doit mal dormir car il doit prendre des décisions impossibles. Par le passé, dans les mêmes compétences, Monsieur Tobback était tout aussi dur que Theo Francken. Monsieur Dewael l’était également. Tout comme Madame Turtelboom et Madame De Block. Mais, avec Theo Francken, le ton a changé. Et c’est parce que ce ton a changé que tout est devenu aussi controversé. Theo Francken a un devoir de réserve : il ne faut pas tout dire tout le temps. La transparence politique est importante, mais pas à ce point-là…

Alexander De Croo (Open VLD) a appelé, cet été, à refédéraliser des compétences. Etes-vous d’accord ?

J’ai toujours lutté pour des compétences homogènes. Mais, dans ce pays, on obtient des compromis politiques après des nuits de négociations. Et alors, à la fin, on arrive à des compétences hétérogènes au niveau de la Justice, de la Santé publique, de l’Aide au développement… Je suis vraiment pour une homogénéisation des compétences mais je ne me fais pas

d’illusion. Peu importe, d’ailleurs, le sens de cette homogénéisation – refédéralisation ou régionalisation. La raison nous amènera à homogénéiser les paquets de compétences entre le fédéral et les entités fédérées. Mais cela ne sera pas pour 2019, je crois.

Cet été, l’accord de la majorité sur la sortie de l’IVG du Code pénal a surpris l’opposition dite progressiste et laïque qui espérait faire passer son propre texte avec une majorité parlementaire alternative. L’Open VLD et le CD&V étaient en opposition sur cette question. Comment avez-vous obtenu un compromis ?

La majorité s’est montrée forte et unie. Tout le monde savait que, pour certains partis de la majorité – dont la N-VA – la question de l’avortement est fort sensible. C’était donc un défi de trouver un accord. Un point de vue stipule que la vie est sacro-sainte du début à la fin. Un autre point de vue affirme que le droit à l’autodisposition doit l’emporter. Ces deux points de vue sont aux yeux de leurs partisans parfaitement raisonnables mais ils sont diamétralement opposés. Il était préférable pour le gouvernement de trouver un accord. Pour préserver la cohérence de la majorité, il valait mieux éviter cette majorité parlementaire alternative.

Malgré ce compromis sur la sortie du Code pénal, à titre personnel, êtes-vous à l’aise avec cette décision ?

Je suis à l’aise, oui. Personnellement, j’ai trop vu d’enfants qui auraient pu faire l’objet d’un avortement pour ne pas mesurer le bonheur qu’ils ont pu apporter. Je ne juge pas, jamais, mais, oui, la vie est importante. Je suis heurté humainement par l’avortement, mais je sais comprendre tous les cas difficiles aussi.