De l'argent blanchi en pariant sur un jeu dans un match de tennis sans enjeu

op 17 december 2016 11:13 L'Echo

Le ministre de la Justice, Koen Geens, vient de lancer une plateforme destinée à lutter contre la manipulation des compétitions sportives. Un fléau qui touche le sport à tous les niveaux.

LE RÉSUMÉ

Soucieux de lutter contre la manipulation des résultats dans les compétitions sportives, le ministre de la Justice Koen Geens a lancé une plateforme.

Il y est associé au parquet fédéral, à la police judiciaire, à différentes associations sportives, au Comité olympique et à la commission des jeux de hasard.

L'enjeu est de taille et les trucs imaginés par des bandes criminelles organisées servent essentiellement à blanchir de l'argent.

Il y a dix ans déjà, l'affaire Zheyun Yé éclatait et éclaboussait le monde du football belge d'un vaste scandale de corruption. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts et les méthodes ont changé, mais, quoi qu'il en soit, la détection des paris sportifs illicites est de plus en plus compliquée, comme nous avons pu nous en rendre compte en marge du lancement d'une plateforme visant à lutter contre la manipulation des compétitions sportives.

"Aujourd'hui, on parie sur tout et non plus seulement sur ce qui est exposé", nous a expliqué Bertrand Vols, le patron de l'Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Ce dernier évoque, à titre d'exemple, le cas d'un jeune joueur de tennis âgé de 14 ans, approché pour perdre un match dans une sombre compétition sans enjeu particulier. "N'importe quel gamin talentueux est une victime potentielle", poursuit le patron de l'OCRC, avant de préciser que ce genre de fraude échappe aux contrôles effectués par les sociétés de détections d'anomalies dans les paris sportifs.

Pari, set et match

Pour saisir toute l'ampleur du phénomène, il faut écouter Etienne Marique, le président de la commission des jeux de hasard, démontrer le mécanisme imaginé par les parieurs pour blanchir de l'argent. C'est édifiant. Un individu approche un jeune joueur de tennis ou son entourage (parents ou coach). On lui promet une belle somme d'argent (jusqu'à 10.000 euros) s'il perd un jeu dans le deuxième set de son match. En sachant qu'en cas de victoire, le prize money s'élève au même montant, la tentation peut être grande.

Une fois que le joueur ou son entourage a accepté, la bande criminelle ira trouver des parieurs. Les réfugiés attendant du travail devant le Petit Château à Bruxelles constituent une cible idéale: ils ont du temps et pas d'argent. Les criminels leur confient du cash à parier et leur offrent une commission au passage. Ces parieurs désignés sont appelés "mules de paris".

Pour tout pari au-delà de 1.000 euros, le parieur devra s'enregistrer et décliner son identité, raison pour laquelle les mules vont effectuer leurs paris dans différents centres de paris en prenant garde de ne jamais dépasser 999 euros. Au passage, les mules, à qui on a dit dans quel sens elles devaient parier, injectent leur commission. Ensuite, vient l'heure de la collecte des gains et de la rétrocession des gains à l'intermédiaire de la bande criminelle, et le tout, dans la plus grande discrétion.

On le voit, les bandes criminelles organisées ne manquent pas d'imagination. Pour lutter contre ce fléau, la commission des jeux de hasard peut compter sur le travail de deux officiers de liaison, un francophone et un néerlandophone, détachés de la police fédérale afin de traquer ce genre de fraude. Les cas les plus graves sont soumis au parquet qui décidera d'y donner suite ou pas.

Car, en matière de poursuite, les priorités sont fixées dans le plan national de sécurité et rien n'y est prévu pour la lutte contre les manipulations des compétitions sportives, ce que déplore le président de la commission des jeux de hasard.

Le lancement de la plateforme, tout symbolique qu'il soit, est un signal fort adressé au secteur, en terme de prévention et d'information. "Internet et la globalisation ont rendu les compétitions plus accessibles aux manipulations par des personnes mal intentionnées", a déclaré Koen Geens, en marge de la présentation de la plateforme. "En créant cette plateforme qui rassemble différents niveaux, nous cherchons à redonner plus de pureté et de fair-play au sport. Les sportifs vont jusqu'à l'extrême pour prouver leur valeur. Leurs efforts et leur détermination doivent dès lors être récompensés honnêtement", a déclaré le ministre de la Justice.

L'idée de cette plateforme est d'assurer une meilleure information des différentes personnes concernées de sorte que le plus grand nombre de signaux puissent être détectés le plus rapidement possible. Parmi les parties présentes au sein de la plateforme, on retrouve la police judiciaire fédérale, le parquet fédéral, la Loterie Nationale, différentes fédérations sportives, le Comité olympique et la commission des jeux de hasard.

NICOLAS KESZEI